Le rituel bauschien commence : courses effrénées des interprètes dans les coulisses, débordant au parterre et, seul, face au public, un géant en bonnet, gants et slip rouge. “Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört” va, deux heures durant, bousculer nos certitudes.
Créé il y a 40 ans, cette pièce entre aujourd’hui au répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon. Elle n’a rien perdu de sa noirceur, constat parfois accablant sur les relations entre hommes et femmes. On y verra des baisers forcés, des corps tiraillés ou des envolées sur un mur, puis deux chaises aux bras en guise d’ailes.
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Sur “la montagne” évoquée dans le titre, il ne fait pas toujours beau se promener. Un sol de terre, quelques années après Le Sacre du printemps de Pina, des sapins disposés çà et là, la chorégraphe entrave bien souvent le mouvement. Un jour qu’on lui demandait pourquoi tant d’obstacles, elle nous répondit : “parce que la vie n’est pas comme un plateau de danse, lisse”.
Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört offre au regard des rondes et des plongeons, des tempêtes et des accalmies. “L’art des contrastes fait vraiment partie du génie de la mise en scène de Pina Bausch”, témoigne Anne Martin, ancienne soliste du Tanztheater Wuppertal, dans le programme. “Une scène physique et très intense peut être suivie de quelque chose de très doux, ou de très mélancolique”. Le spectacle avance ainsi, par sidération, à l’image de cette femme dont on blanchit la chevelure à la craie, plantée tout le temps de l’entracte.
Danse-Théâtre
Gebirge n’a pas la force immédiate de Barbe-bleue, tout juste donné à Paris, ou de Kontakthof, attendu à l’Opéra de Paris la saison prochaine. Il n’en reste pas moins que la pièce dérange encore et toujours pour finir par emporter ses spectateur·trices tandis qu’un orchestre s’installe sur le plateau. Il y a du Titanic dans cette scène. La compagnie lyonnaise se jette à corps perdu dans l’œuvre de Pina. Il y a encore des automatismes mais on sent l’investissement de chacun·es. De Roylan Ramos, dans le rôle autrefois porté par l’immense Jan Minarik, à Katrien De Bakker, de Samuel Pereira à Jacqueline Bâby pour n’en citer qu’une poignée, ces danseur·euses ont dû apprendre une langue gestuelle nouvelle, la danse-théâtre. Ils sont magnifiques dans leur engagement permanent.
À leurs côtés Anne Martin, Jo Ann endicott et Jorge Puerta Armenta pour la Pina Bausch Foundation ont joué les passeur·euses. Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört (sur la montagne on entendit un hurlement) s’offre désormais une seconde vie. Elle est déjà de toute beauté.
Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört – chorégraphie Pina Bausch, Opéra de Lyon jusqu’au 7 juillet
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