Entre ses liens avec la Russie, les doutes sur sa santé mentale et le renvoi du directeur du FBI, les raisons de destituer Donald Trump ne manquent pas. De l’impeachement à un Congrès récalcitrant, passage en revue des moyens juridiques et politiques.
Partons de l’hypothèse que Donald Trump est un escroc qui a été aidé par une puissance étrangère pour être élu. Ou que ses proches décèlent chez lui une maladie mentale préjudiciable pour l’avenir du monde. Qu’a prévu la Constitution américaine ? Peut-il être viré ? Si oui, comment ?
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Si l’on s’en remet à l’histoire, les chances qu’un Président s’en aille en cours de mandat sont minces, voire inexistantes. En 228 ans de démocratie américaine, un seul a démissionné : Richard Nixon. Huit sont morts. Deux ont subi une procédure d’impeachment, l’arme atomique de la Constitution américaine, et tous deux en sont sortis vainqueurs. Mais on le sait bien : rien n’est normal avec Donald Trump.
Virer le patron du FBI, une impulsion d’une incroyable maladresse
En cent jours, le Président a gesticulé, mais surtout fait du surplace. Son indice de popularité tourne autour des 40% en début de mandat, selon Gallup – l’indice le plus bas depuis la création de cet institut de sondages. Même le vieux coup de l’intervention militaire échoue à le rendre populaire. Le mois dernier, Trump ordonne le bombardement d’une base jihadiste en Afghanistan, détruit un aéroport syrien et menace la Corée du Nord : les sondages ont faiblement rebondi.
Avant même qu’il soit élu, le FBI et quatre commissions du Congrès enquêtaient sur de possibles liens entre la Russie et son staff de campagne. Cette affaire a déjà coûté leur poste à de nombreux proches. Et c’était avant la dernière prouesse du Président : virer sans sommation le patron du FBI, James Comey. Une impulsion d’une incroyable maladresse qui le compromet davantage.
Pour ses opposants, Trump veut un patron du FBI à sa botte et que l’agence stoppe son enquête
Une fois encore, les méthodes du Président – virer n’importe qui, n’importe comment, comme dans un épisode de The Apprentice – risque de nourrir toujours plus de soupçons. Pour ses opposants, Trump veut un patron du FBI à sa botte et que l’agence stoppe son enquête. Mais ce serait méconnaître le FBI de croire qu’il se couchera face à un Président. L’agence est indépendante de l’exécutif, décentralisée, et très jalouse de ses prérogatives. La rivalité avec la Russie est dans son ADN.
“Les agents investis dans le contre-espionnage russe passent des années sur une seule affaire, parfois toute leur carrière, rappelle Asha Rangappa, un ancien agent spécial, dans Politico. Qu’il puisse y avoir des doutes sur le fait que le FBI soit à même de mener une enquête sur la Russie en toute indépendance va plutôt motiver les agents et les pousser à redoubler d’efforts pour retrouver la confiance du public.”
“Il ne boit pas, ne prend pas de drogue. Sa drogue, c’est lui-même”
Trump est le plus vieux Président jamais élu. A 70 ans, il gouverne sans bouger. En cent jours, George W. Bush avait visité vingt-trois Etats de l’Union et un pays étranger. Pour l’instant, Trump a visité neuf Etats, le plus souvent sous la forme de meetings à sa gloire – une sorte de campagne perpétuelle – et n’est pas sorti du pays.
Le Président passe ses journées à la Maison Blanche et dans son palais d’hiver de Mar-a-Lago en Floride. Il regarde la télé, énormément. Quand elle parle de lui. “Il ne boit pas, ne prend pas de drogue. Sa drogue, c’est lui-même”, estime l’analyste politique Sam Nunberg. La crainte qu’il inspire fait qu’il est mal conseillé : lui annoncer de mauvaises nouvelles retombe souvent sur le messager.
Dans la rue, les appels à la destitution ne faiblissent pas depuis sa prise de fonctions. Le week-end de Pâques, le convoi présidentiel a dû détourner son trajet entre le Trump International Golf Club de West Palm Beach et Mar-a-Lago – des manifestants bloquaient la route. Le jour suivant, Trump tweete : “Quelqu’un devrait enquêter sur qui paie ces petites manifestations organisées hier. L’élection est pourtant terminée !”
Le premier angle d’attaque pour virer Trump
Le premier angle d’attaque pour virer Trump dans les règles n’est pas le plus évident : c’est celui de la maladie mentale. Les législateurs américains ont imaginé le cas où un Président perdrait la raison en cours de mandat, après l’assassinat de Kennedy.
Le problème s’est posé en ces termes : dans l’éventualité où JFK aurait survécu, que se serait-il passé en cas de coma prolongé, avec un Président réduit à l’état de légume ? Pour y répondre, les législateurs ont ajouté à la Constitution un 25e amendement, qui permet aux proches du Président, ceux qui partagent son quotidien (vice-président, famille, membres du cabinet) de remettre le cas échéant une lettre au Congrès, qui a alors trois semaines pour décider si le chef de l’Etat est “capable d’exécuter ses devoirs”. Les députés doivent voter aux deux tiers.
Il est question d’utiliser cette clause pour Trump, c’est l’objet d’un article du New Yorker daté du 8 mai. On y apprend que la santé mentale des présidents est régulièrement défaillante. Abraham Lincoln était dépressif, Lyndon Johnson paranoïaque. Lors de son second mandat, Ronald Reagan montrait des signes inquiétants de maladie d’Alzheimer à tel point que son cabinet était tout près d’utiliser le fameux 25e amendement pour la première fois.
A part Richard Nixon, chaque président a terminé sa mission
Une étude de la Duke University de 2006 conclut que près de la moitié des présidents américains ont souffert, au cours de leur mandat, d’une pathologie mentale – dépression nerveuse, troubles d’anxiété, abus d’alcool ou d’autres substances. A part Richard Nixon, qui a démissionné, chaque président a terminé sa mission.
Le problème de la santé mentale de Trump est régulièrement soulevé. Le 13 février, trente-quatre professionnels du secteur de la santé cosignent une lettre au New York Times. “Nous pensons que les actes et les paroles de M. Trump indiquent une instabilité émotionnelle grave qui le rend incapable de gouverner. Nous craignons qu’il y ait trop d’enjeux pour rester silencieux plus longtemps.”
Si l’auteur, Lance Dodes, clinicien de Harvard à la retraite, emploie cette étrange tournure, comme s’il prenait un risque à s’exprimer, c’est qu’il y a un précédent. En 1964, un candidat républicain au profil semblable à Trump soulevait des peurs dans l’opinion. Le politicien, Barry Goldwater, avait poursuivi en diffamation des scientifiques qui l’estimait inapte à la présidence, et gagné son procès.
“Son comportement démontre une incapacité à tolérer des points de vue différents du sien” Lance Dodes, clinicien
Depuis, le consensus parmi la communauté scientifique est de se tenir à l’écart du jeu politique, mais Trump suscite assez de craintes pour que cette règle vieille de quarante-cinq ans soit enfreinte. “Son comportement démontre une incapacité à tolérer des points de vue différents du sien.” Dodes s’alarme de ses “accès de rage” et de son absence d’empathie. “Ce genre d’individu déforme la réalité pour coller à son état psychologique, attaquant les faits et ceux qui les rapportent (journalistes et scientifiques).”
Le profil psychologique d’un “Narcisse malfaisant”
Cette lettre a vraiment débridé les scientifiques. Une pétition de professionnels de la santé lancée sur Change.org affirme que le Président est “trop sérieusement atteint pour remplir les fonctions de Président, et devrait être écarté” : au soir du 14 mai, elle réunissait 55324 signatures. La raison généralement invoquée est son profil psychologique, celui d’un “Narcisse malfaisant” : folie des grandeurs, sadisme, tendance à l’affabulation et à la paranoïa. C’est la pathologie qu’un expert avait présentée au procès de Josef Fritzl, du nom de cet Autrichien qui séquestra et viola sa fille vingt-quatre ans durant.
Les commentateurs sont divisés. Jeff Greenfield, de CNN, pense que la possibilité que Trump soit sorti pour maladie mentale relève d’un “délire de la gauche”. Un prof de droit constitutionnel de Harvard, Laurence Tribe, estime que l’hypothèse est sérieuse, “un outil possible” avant la fin de son mandat en 2020.
Le problème, c’est que la définition de “l’aptitude à gouverner” est finalement assez vague. Qui décide où s’arrête la stupidité et où commence la pathologie ? Avec Trump, personne n’est pris au dépourvu : il n’a pas changé du jour au lendemain, n’est pas atteint par une maladie dégénérative. Aucune balle ne lui a traversé le cerveau. Le peuple américain l’a élu tel quel.
Le second angle pour dégager Trump
Le second angle pour dégager Trump est plus connu : utilisé contre Bill Clinton en 1998, il rappelle des souvenirs pas si lointains. C’est l’impeachment : une procédure de destitution, lancée par le Congrès. Spoiler : c’est long, tortueux, et ça a toujours pété dans les doigts du camp qui l’a utilisé. Aucune procédure d’impeachment n’a jamais réussi (Nixon reste à part : il a démissionné avant de la subir).
Aujourd’hui, le mot est encore tabou chez les Démocrates du Capitole. Seule une poignée de radicaux en font un totem, comme Maxine Waters, une députée californienne de 78 ans qui connaît un regain d’intérêt chez les millennials pour son discours de gauche radicale. En février, seulement 30% des Américains étaient pour une destitution de Trump, et 58% des Démocrates, selon un sondage du Public Religion Research Institute – c’était avant le limogeage du directeur du FBI, un acte dont personne ne connaît encore les répercussions.
Une autre voix, et non des moindres, est certaine qu’une procédure sera lancée : l’historien Allan Lichtman. Une espèce de devin de la politique américaine. L’an dernier, il avait parié, seul contre tous ses pairs, sur la victoire de Trump – ça lui avait valu l’envoi d’une lettre de remerciement signée de Donald lui-même : “Professeur – félicitations – pari gagné.” Son système simple et implacable, méprisant les sondages, a prédit le résultat de toutes les élections depuis 1984.
Un bréviaire des casseroles que traîne Trump
Allan Lichtman avait deviné la victoire de Trump mais il avait aussitôt ajouté ce sombre présage : un impeachment. Il vient d’en faire un livre, The Case for Impeachment, publié le mois dernier. C’est un bréviaire des casseroles que traîne Trump et qui pourraient être utilisées contre lui : conflits d’intérêt, fraude fiscale, violation de l’embargo cubain en 1990, emploi illégal de main-d’œuvre immigrée…
“Un président qui semble ne rien avoir appris de l’histoire”
“Un président qui semble ne rien avoir appris de l’histoire, abuse et viole la confiance de l’opinion publique, prépare le terrain pour une myriade de délits passibles de la destitution”, écrit aussi Lichtman. Cette fois-ci, il n’a pas reçu de félicitations du Président.
Lichtman étudie le cas Nixon et les deux précédents cas d’impeachment (Andrew Johnson, en 1868, et Bill Clinton en 1998). Il remarque que peu importe la gravité de la faute, c’est plutôt le manque de popularité du Président et ses mauvaises relations avec le Congrès qui entraînent la procédure.
“Le Congrès devient dingue, personne ne comprend rien à ce que fait Trump”
Un Président fort, qui tient sa majorité, ne craint rien. L’important, au fond, n’est pas l’épaisseur du scandale, mais le soutien de l’opinion publique. Et malgré sa cote de départ historiquement faible, Trump est encore largement à l’abri. Pour une majorité des Républicains du Capitole, Trump est une grenade dégoupillée et ils ne lui font pas confiance. Mais ils composeront avec tant que leur électorat le soutient.
Le problème, et il risque de grossir, c’est que Trump s’est jusque-là montré inefficace pour faire passer des lois. Le cap des cent jours est passé et l’écran de fumée ne s’éternisera pas. Si le Président continue sur cette lancée, les Républicains à la Chambre craindront pour leur réélection en 2018. Ils auront moins de scrupules à couvrir le Président. Si la Maison Blanche implose sous les scandales et que l’opinion publique se rebiffe, leur intérêt personnel prévaudra.
Les signes ne sont pas encourageants pour eux : quand ils quittent Washington pour visiter leur circonscription, les rencontres avec les électeurs sont émaillées de nombreux problèmes, de réclamations, de manifestations. “Rien n’est comparable à ce que l’on vit aujourd’hui. On a un Président sans expérience politique, qui ne fait rien dans les règles. Et le Congrès devient dingue, parce que personne ne comprend rien à ce que fait Trump”, s’échauffe Randy Evans, homme du sérail républicain, à Politico. “Si un député vous dit savoir ce qu’il se passera l’an prochain (pour ses chances de réélection – ndlr), c’est qu’il est dans un délire hallucinatoire.” Si même les parlementaires se mettent à perdre la boule…
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