Shlomi Elkabetz fouille dans ses archives vidéo et réalise le plus bel hommage qui soit à sa famille et surtout à sa soeur, la grande artiste israélienne Ronit Elkabetz, morte prématurément. Le film, en deux parties qui sortent le même jour, était présenté en 2021 au Festival de Cannes.
Au XVIIe siècle, on appelait “tombeau” un style de composition musicale qui consistait à rendre hommage à une personne défunte, sans jamais tomber dans la noirceur, la tristesse, le pathos. Cahiers noirs, documentaire en deux parties ou deux films (l’un de 1 h 48, l’autre de 1 h 40), pourrait aussi s’intituler Le Tombeau de Ronit Elkabetz, ou même Tombeau pour ma sœur, puisqu’il a été réalisé par Shlomi Elkabetz, le frère (et coréalisateur des films) de la grande actrice et cinéaste israélienne Ronit Elkabetz (Prendre femme, Les Sept jours et Le Procès de Viviane Amsalem…), morte à 51 ans d’un cancer en 2016.
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Hymne à la vie
Le film est monté à partir des images privées que Shlomi Elkabetz tournait depuis 25 ans avec ses caméras successives (d’abord VHS, puis de plus en plus professionnelles), mais aussi d’archives familiales, d’extraits des trois films de fiction et de leurs “making of”. Il dresse d’abord le portrait des parents Elkabetz (le père travaille à la synagogue, la mère est coiffeuse), Israélien·nes venu·es du Maroc ayant tant inspiré les films de Ronit et Shlomi, qui comme dans ces films passent allègrement de l’hébreu au français et à l’arabe quand ils parlent.
Des personnages forts dans la vie comme à l’écran (même si le père est plus taiseux que la mère), dont on mesure à quel point leurs enfants ont pu les réinventer, les réécrire, pour les transformer en des êtres de fiction qui ont pour nom Viviane et Eliahou (qu’incarnait magnifiquement Simon Abkarian) Amsalem, ce couple qui se déchire de film en film.
Puis le cinéaste désormais seul qu’est Shlomi se consacre tout entier à sa sœur : ses humeurs, ses joies, ses déceptions et sa maladie, qui se déclare pendant le tournage du Procès de Viviane Amsalem et commence à l’épuiser. L’une des scènes les plus belles du film est celle où Shlomi, devant l’incapacité de Ronit à retrouver son texte, prend avec autorité la décision de le lui souffler lui-même pendant les prises.
Le plus bel hommage
Cette œuvre devient alors un hymne à la vie, celle de Ronit, avec qui Shlomi Elkabetz a longtemps vécu et travaillé, notamment à Paris, ville qu’elle adorait et où elle avait redémarré entièrement sa carrière d’actrice alors qu’elle était déjà connue dans son pays.
Sans complaisance, sans voyeurisme, sans chercher à la glorifier, en montrant ses failles, sans aucun sentimentalisme ; avec pudeur, avec dignité, humour aussi. Shlomi Elkabetz trouve des moyens détournés – des idées de mise en scène de cinéma, la musique déchirante de Bernard Herrmann pour Vertigo d’Hitchcock – pour montrer l’absence, l’indicible et évoquer le fantôme de sa sœur bien-aimée qui le hantera tout le restant de sa vie.
Shlomi Elkabetz rend le plus bel hommage, à l’écran, qui pouvait être rendu à une actrice, une scénariste, une artiste passionnée, mais aussi une sœur et une femme inoubliable pour tous·tes celleux qui ont aimé ses films ou l’ont un jour croisée.
Cahiers noirs de Shlomi Elkabetz, en salles le 29 juin 2022.
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