Après une saison marquée par le conflit en Ukraine, la fashion week masculine Printemps-Été 2023 s’ouvre par des spectacles de haute volée au grand air. Cours de lycée, jardins parisiens, esplanade touristique : les directeurs artistiques dessinent une carte postale nouvelle d’un Paris ultra instagramable.
Est-ce la fin des défilés virtuels ? La question se pose. À Paris, 76 maisons sur les 84 en liste ont présenté des défilés physiques entre le 21 et le 26 juin. Entre lieux insolites, et décors reconstitués, les maisons ne délaissent pas le format en ligne – centrale à leur communication – et imaginent des décors prêts à être retransmis en live pour surprendre simultanément les publics en présentiel et ceux derrière leur écran.
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Entre relecture du Paris des cartes postales, et espaces laissés en friche, les maisons pensent une garde-robe pour une ville en mutation.
Coup d’envoi sur les quais d’Austerlitz à L’Institut Français de la Mode
Inauguré en novembre dernier après quelques mois de rénovation, l’Institut Français de la Mode servait de décor d’ouverture à la Fashion Week homme. Après un défilé virtuel des masters design en janvier dernier, les 32 étudiant·es du Bachelor of Art in Fashion Design présentaient un show physique, imaginé avec l’agence OBO (derrière les décors des défilés Ami, Lacoste ou Germanier) sur le ponton de l’école en bord de Seine.
Larges manteaux ornés de plumes, combinaisons techniques post-apocalyptiques et tailoring déconstruit : 198 silhouettes ondulaient le long des flots face aux grands noms de l’industrie, la créatrice Isabel Marant, ou l’attaché de presse Lucien Pagès. Adaptées aux sorties nocturnes, les collections du Bachelor dirigées par Thierry Rondenet et Hervé Yvrenogeau témoignent de la vitalité de la jeune garde parisienne.
Le Grand Paris d’Etudes Studio
Fondé par Aurélien Arbet, José Lamali et Jérémie Egry en 2012, le label Études a investi la Petite Ceinture au Nord de Paris et son décor jonché d’herbes sauvages. Un chemin de fer construit au XIXe pour faire le tour de la capitale. Si ce n’est pas la première fois que les shows prennent place à la périphérie de la capitale (Marine Serre ou Balenciaga), c’est une première pour Études, qui précise dans sa note d’intention entamer une réflexion sur le vêtement comme témoin vivant de l’histoire d’un espace.
Baptisée Périphérie, la collection tisse un dialogue entre le passé et l’avenir de la ville pour revisiter les archétypes du vêtement de travail, twisté par des codes tailoring. Les costumes en toile de coton sont portés avec des casquettes et les denims usés et surteints, articulés à des vestes cintrées. Ils dessinent en filigrane un dialogue entre univers industriel, et uniforme urbain contemporain familier du collectif, qui se dote cette saison, d’un nouveau logo métallique en forme de losange.
À École militaire, une relecture de l’uniforme par Givenchy
C’est à École militaire, à l’entrée du Champ-de-Mars, que le directeur artistique de Givenchy, Matthew M. Williams a décidé de guider son public. Le lieu, usuellement ouvert pendant les journées du patrimoine se transforme en point de rencontre pour les fans impatient·es d’entrevoir Tiktokeurs et icônes des scènes hip-hop contemporaines, tel que 24kGoldn. Mais le spectacle se joue également à l’intérieur où un cube opalin cerclé d’une marée d’eau fait office de décor pour le défilé. Les mannequins traversent les 5 cm d’eau en bottes de pluie ou baskets à semelle épaisse formant une armée de hoodies ciglés Givenchy.
Les tenues monochromes offrent une relecture de l’uniforme streetwear (un style qui s’est frayé un chemin depuis une décennie dans les marques de luxe). Williams revient aux essentiels : vestes de base-ball épaisses, sweat-shirts fluo portés avec des cagoules et jeans laissant dépasser des élastiques de caleçons. En filigrane, on comprend que le streetwear est devenu un uniforme comme un autre, tout aussi codifié.
Palais de Tokyo, terrain de dénonciation pour Rick Owens
“Fire Ball at Rick Owens”, titre l’Instagram @StyleNotCom en plein show. En quelques minutes, les vidéos de sphères enflammées gravitant au-dessus de la fontaine du Palais de Tokyo font le tour des stories. Tout aussi attrayant que les silhouettes aux larges épaules composant le défilé, la grue soulevant ces sphères capte l’attention. On en oublierait presque la collection. Pourtant Rick Owens ne cesse d’innover laissant apparaître des pointes de couleurs entre rose couture et dégradé kitsch. Autre prouesse : plusieurs pièces transparentes en cuir (dit cuir d’apparition issu d’un tannage spécifique), donne une légèreté à des pièces habituellement lourde.
Pourtant tout ce spectacle est parfois dévié. Là, dos à la tour Eiffel, en plein soleil Rick Owens nous livre une fable sur l’inclinaison humaine à la destruction. Les sphères du décor qui s’écrasent encore et encore dans la fontaine du Palais de Tokyo sont une métaphore de l’effondrement. Une leçon qui se transmet via des stories Instagram…
La cour carrée du Louvre transformée en aire de jeu par Louis Vuitton
Jeu de construction monumental, le décor surréaliste du défilé Vuitton était un clin d’œil à l’univers enfantin inspiré par Virgil Abloh, le directeur artistique de la maison décédé en novembre dernier. Pour ce nouveau tour de ronde, la cour carrée du Louvre s’est transformée en parc grandeur nature avec son podium jaune façon circuit de voitures pour enfant.Les symboles de l’enfance se sont glissés sur les costumes : texture pâte à modeler, avion en papier, imprimés dessin animé.
La narration du défilé s’est dessinée comme un film signé Disney. Le show s’est ouvert avec la fanfare originaire de Floride, The Marching 100 et s’est conclu avec le rappeur Kendrick Lamar et son Long live Virgil. En hommage à Virgil Abloh, les mannequins ont également recouvert le podium d’un grand voile multicolore.
La Sacré-Cœur, galerie des idoles contemporaines chez Ami par Alexandre Mattiussi
Après avoir gravi les marches jusqu’au Sacré-Cœur, il fallait se frayer un chemin entre les fans venu·es acclamer la nuée de stars présentes au show Ami. Pour la première fois dans l’histoire des défilés, l’esplanade se transformait en décor de mode.
Dans cet espace, plus besoin de créer un photocall : les toits de Paris servent de décor aux stars qui posent en total look Ami. Les actrices cultes, Catherine Deneuve et Isabelle Adjani, croisent les acteurs de séries, Angus Cloud (Euphoria), ou Joe Locke (Heartstopper) et les mannequins légendaires, Carla Bruni et Naomi Campbell. On pourrait croire que le spectacle s’arrête ici, mais le défilé révèle des surprises. Pour jouer jusqu’au bout le Paris des cartes postales, Alexandre Matiussi a ouvert son défilé avec l’actrice Audrey Tautou, clin d’œil à son personnage d’Amélie Poulain (qui habite justement Montmartre). Ont suivi les mannequins iconiques Kristen McMenamy, Paloma Elsesser, Cara Delevingne, et Mariacarla Boscono. Les vêtements ? 54 looks tout aussi marquants, articulant les tendances écolier·ères et les silhouettes plus rock des années 2000.
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