Depuis trois saisons, Ronald D. Moore imagine un monde où les États-Unis auraient perdu la course aux étoiles. Sis dans les années 1990, ces nouveaux épisodes, où l’on croise un jeune gouverneur de l’Arkansas nommé Bill Clinton, se révèlent captivants sur la longueur.
Tout est parti de presque rien. L’arrivée discrète d’Apple dans le game des séries télé, en 2019, n’a pas vraiment suffi à mettre en avant la nouvelle création du boss de la mythique saga années 2000 Battlestar Galactica ainsi que de Outlander, l’Américain Ronald D. Moore. For All Mankind a fait son entrée dans le flux incessant des “contenus” sans éclat particulier. Son sujet, la conquête spatiale, semblait peut-être décalé, hors de propos.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
À une époque où le repli devient une valeur largement partagée, comment avoir envie de tout le contraire, du récit d’un rêve partagé de toucher les étoiles ? Il fallait y croire. On y a cru. Et alors que la troisième saison vient d’arriver, un constat s’impose : non seulement For All Mankind avance de manière toujours plus pertinente, mais il s’agit de l’une des meilleures séries actuelles.
Sa pertinence s’inscrit dans la volonté farouche de Ronald D. Moore, vrai auteur de gauche au sens le plus noble du terme, d’inscrire dans le récit une forme de progressisme qui ne repose pas sur de grands principes abstraits, mais colle à des personnages de chair et de sang, engagés dans l’histoire de leur temps.
Une femme présidente, Bill Clinton et Elon Musk
En premier lieu, le scénariste a imaginé un monde où l’Amérique aurait perdu. Dans cette uchronie, les Russes sont arrivés les premiers sur la Lune en 1969. Après ce renversement, tout a changé. Depuis ce point de départ, For All Mankind a traversé les époques en imaginant que la conquête spatiale s’est poursuivie avec pour but ultime d’atteindre Mars. Dans cette troisième saison, elle parvient jusqu’aux années 1990 et poursuit son utopie fictionnelle.
Son ambition n’est pas seulement de jouer subtilement avec la réalité historique, mais aussi de construire patiemment un monde imaginaire où les préoccupations contemporaines – place des femmes et des minorités, nécessité de la coopération internationale – se seraient inscrites dans les pratiques bien plus tôt. Dans les nouveaux épisodes, la capitaine du vaisseau de la NASA en partance pour Mars est une femme noire, qui a démontré depuis longtemps ses capacités. Face à elle, un vétéran et ex-collègue a été débauché par un entrepreneur privé richissime – probablement inspiré par Elon Musk.
Au lieu d’esquiver ce qui se joue dans leur rivalité, la série propose de longues scènes d’explications où il est question de compétences et, à demi-mot, de discrimination positive. Tout cela se passe pendant les 90’s, alors qu’une femme conservatrice a été élue présidente et, qu’au même moment, un jeune gouverneur de l’Arkansas du nom de Bill Clinton commence à faire parler de lui. L’effet rétro se cumule à un effet de présent très fort, qui donne à For All Mankind sa profondeur.
La fiction renverse la table
À partir de ce canevas libre et inspiré, tout est possible. Quand un vaisseau russe se joint à la course aux étoiles pour tenter lui aussi d’atterrir sur Mars, on comprend que Ronald D. Moore déplace concrètement la notion d’ennemi : ceux qui mettent le bordel dans le ciel ne sont pas toujours les “rouges ”, mais surtout celles et ceux qui naviguent pour l’entrepreneur privé prêt à tout. Sur l’écran, deux conceptions du rêve américain s’affrontent : la première, liée à une certaine idée de la grandeur commune (la NASA, le service public), l’autre, façonnée par le règne absolu de l’argent, les valeurs faussement cool des milliardaires startuppeurs.
Mais le schéma n’est jamais figé, car la fiction renverse la table en faisant des ennemi·es d’hier les ami·es d’aujourd’hui. Avec cette idée qu’aucune entité ne se suffit à elle-même, une vision démocratique du récit se déploie.
On ne voit pas beaucoup d’autres séries contemporaines pour montrer un tel désir envers ses personnages
Le conflit de départ autour du voyage vers Mars se double et se triple de beaucoup d’autres, plus personnels et plus intimes, qui font de For All Mankind une série à large scope, captivante sur la longueur. Comme la conquête spatiale est une affaire de passionné·es qui pensent le monde et ses limites, la conception du récit déployée par le créateur est elle aussi une pensée d’extension. Il cherche à donner à tous et à toutes une vie narrative riche, diverse, toujours capable d’évoluer. Et il offre la sensation, comme les pionnières et pionniers qui arpentent l’immensité, de détenir un secret. Non pas celui de l’aptitude humaine à comprendre l’univers mais, plus modestement, celui d’un classicisme sériel qui n’a plus tellement cours aujourd’hui.
On ne voit pas beaucoup d’autres séries contemporaines pour montrer un tel désir envers ses personnages, pour utiliser des cliffhangers comme dans les années 1990-2000 – les années de formation de Ronald D. Moore sur Star Trek –, jouer avec la notion d’arc narratif avec autant de sérieux, donner ce sentiment d’être respecté·es face à notre écran.
For All Mankind saison 3 de Ronald D. Moore. Sur Apple TV+
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}