La romancière et scénariste, disparue le 10 mai, travaillait sur l’angoisse qui peut se nicher dans le quotidien.
En 2013, répondant à une question d’Alain Veinstein qui l’interviewait sur France Culture, Emmanuelle Bernheim confiait : « Je n’arrive pas à écrire si je n’en ressens pas le besoin physique. Si je n’ai pas cette urgence-là, ou cette force, qui me pousse vers l’écriture, ce que j’écris, et j’essaie quelquefois, est tout vide. C’est tout mort, sans substance. » On aimerait que certains auteurs obsédés par l’idée de publier coûte que coûte un nouveau roman chaque année retiennent la leçon. Emmanuelle Bernheim, disparue à 61 ans des suites d’un cancer, n’avait publié que six livres. Mais ils étaient intenses.
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La violence et l’étrangeté du quotidien
Le premier texte de cette discrète romancière était sorti en 1985. Cran d’arrêt avait pour point de départ une femme dans le métro découvrant qu’il y a du sang sur ses mains, et sur le couteau qu’elle garde dans son sac. Le ton est donné, il ne changera pas. Bernheim écrit sur la violence et l’étrangeté du quotidien, les situations de rupture analysées à travers des relations hommes-femmes. Cette radicalité, la romancière l’appliquait à sa façon d’écrire : des textes brefs, des phrases débarrassées de tout oripeau.
Le point de départ tient souvent en quelques mots. Sa femme, en 93, qui lui a valu le Prix Médicis, parle d’une célibataire qui aime un homme marié au point d’être obsédée par son couple. Vendredi soir, en 97, adapté depuis au cinéma par Claire Denis, observe une femme et un homme qui se rencontrent par hasard dans un embouteillage, un jour de grève des transports. Et c’est aussi une rencontre amoureuse qui est à la base de Un couple, en 95.
Bouleversée par Stallone
Des récits ancrés dans le présent, mettant en scène des femmes mal dans leur vie qui soudain remettent tout en question, des personnages enfermés dans l’incommunicabilité. Une situation puisée dans sa propre expérience, qu’Emmanuelle Bernheim racontera en 2002 dans Stallone. Elle a expliqué alors combien, vingt ans plus tôt, elle avait été curieusement bouleversée par le troisième film de la célèbre série. L’histoire de ce boxeur se rendant compte qu’il passait à côté de son existence l’avait poussée elle-même à changer de vie et de travail.
Ses obsessions se retrouvaient dans son travail de scénariste. Longtemps responsable des archives photos aux Cahiers du Cinéma et compagne de Serge Toubiana, elle a travaillé en particulier avec François Ozon sur un film tel que Sous le sable, dans lequel une veuve, Charlotte Rampling, continuait à cohabiter avec son époux décédé. Elle a aussi collaboré avec Michel Houellebecq sur un scénario de Plateforme, qui ne sera finalement pas porté à l’écran.
La mort était au centre de son dernier livre. Sorti en 2013, Tout s’est bien passé est un récit où la jurée du Prix Médicis racontait le décès de son père. A 88 ans, victime d’un AVC, le collectionneur d’art André Bernheim avait réclamé de se rendre en Suisse pour choisir le moment de sa mort. Un livre fort où, entre les tracasseries administratives ubuesques, la romancière mettait à jour les liens compliqués qui peuvent exister entre un père et sa fille.
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