Le pianiste canadien a battu lundi à 3 heures du matin le record du concert le plus long, au Ciné 13 à Paris, dans une ambiance incroyable. Récit des 27 heures qui ébranlèrent le monde de la musique.
27 heures d’affilée, au piano, pour battre le record du monde Guinness du concert le plus long du monde. En mode combattant, Gonzales débarque au Ciné 13 à Paris, tout près de Montmartre, avec une chanson qui passe dans sa tête et qui doit être proche de The Eye of The Tiger. Un véritable combat que s’apprête à mener Gonzo, avec une équipe réduite autour de lui. Alors que l’artiste s’est élancé au piano, en coulisse on s’active. Melinda la manageuse et Fabienne venue en renfort note chacun des morceaux. Dans le couloir, une équipe supervise le streaming de l’évènement, alors que les curieux débarquent le Ciné 13. Certains, déjà un peu entamés, continuent la soirée au bar de la salle comme pour soutenir Gonzo de loin. On vante la vaillance de l’artiste, on célèbre son courage. Les rumeurs vont bon train ? Qui va passer ? Katerine, Teki Latex, Arielle Dombasle. Alors que le concert progresse avec une certaine fulgurance et que la nuit tombe progressivement à sa fin, Teki Latex débarque vers 7 h 30 et ravitaille Gonzo en corn flakes, solidarité artistique oblige. Gonzales enchaîne. Des morceaux de son propre répertoire – de Solo Piano à l’opéra autobiographique qu’il joue depuis quelques semaines lors de son piano talk-show – mais aussi des reprises : Bowie, les Bee Gees, Britney Spears. Le public s’assoupit mais les 10 spectateurs qui doivent être réveillés en permanence pour assurer la validité du record sont présents. Au matin quelques couples débarquent avec les enfants. Une odeur de poney commence à se faire sentir dans la salle : c’est aussi l’odeur du record, il faut l’apprécier à sa juste valeur. Gonzo transpire, il a l’air un peu fatigué, mais il poursuit néanmoins son effort avec une régularité exemplaire. Celui que l’on savait compositeur et arrangeur de génie se révèle en homme de haute lutte. La foule est admirative.
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Gonzales est pianiste, mais pas seulement. Quand une jeune journaliste lui demande de lui accorder une interview, c’est en chantant que celui-ci répond à ses questions. Impossible pour Gonzo de décrocher de son rêve. Car à ce moment là Gonzales n’est plus sur scène, il joue instinctivement, presque inconsciemment : « A quoi ça sert de jouer aussi longtemps ? -Existez-vous vraiment ? Ou n’êtes vous qu’un mirage ? ». Les frontières avec son public se brouillent par intervalles, s’effacent, mêlant naturellement les méandres de son jeu de scène et le dialogue avec l’extérieur. « C’est quoi le plus dur ? – Des crampes dans mes doigts, je suis obligé de ne jouer que de la main gauche…et psychologiquement c’est l’horloge, elle est mon amie mais aussi mon ennemi. – Comment s’est passé votre préparation ? Vous avez suivi un entraînement de sportif ? – Non. Je n’ai pas arrêté de fumer, et je continue à manger des barres chocolatées et des pizza jambon/parmesan. » La salle pleure de rire, et lui redonne un peu d’entrain. L’humour décalé, sa seule arme du moment contre un temps assassin qui n’en finit pas de s’effiler. Sur la table, du jus de raisin et des bouteilles d’eau qu’il pioche nonchalamment pendant qu’il continue à pianoter de sa main gauche. Pas de stress, Gonzales se sent dans son élément, claquettes de velours au pied et chaussettes trouées assis sur sa chaise de bureau rouge à bouloches. Il finit son morceau et se tourne vers un homme au fond de la salle : « toi, l’homme à la barbe, tu veux écouter quoi ? – Midnight Express ! – Ahhh… ». Dur de laisser le choix au public, car cela ne colle pas toujours avec son humeur de l’instant : « Pff…Cette chanson me fait déprimer ». Peu importe, il fait appel à un autre barbu. De sommet en précipice, il passe l’après-midi du dimanche à jongler entre des envolées virtuoses qui font se pâmer la salle, à des efforts de résistance contre le sommeil où l’on sent qu’il pourrait craquer à tout moment. De 13 heures à 16 heures le passage est chaotique. A 14h 30 Arielle Dombasle monte sur la scène et dépose un panier de fleurs comme on le ferait à l’hôpital pour un de ses proches convalescent. « Qu’est-ce que tu veux que je joue ? – Somewhere Over The Rainbow. » C’est un record solo, et aucun intervenant ne doit chanter, alors elle se met à mimer la mélodie en surjouant un oiseau qui s’envole vers l’arc en ciel. Il se lance alors dans une version du morceau où il joue les notes du refrain à l’envers, et ça sonne étonnamment bien. « You’re a genius !” (« Tu es un genie ! ») : Arielle Dombasle s’extasie devant la répartie du bonhomme, fait ses adieux à l’assemblée et repart comme elle est venue. A 15 heures tapantes il jette un bref coup d’œil à la montre, et part comme une flèche vers les coulisses bienfaitrices, source d’un réconfort qui vient de plus en plus à manquer. Il revient penaud 30 secondes plus tard : « je croyais que ça fait 3 heures, mais ça ne fait que 2 heures…J’ai envie de jouer mais j’ai envie de faire pipi, aussi. ». Heureusement l’athlète gère ses quinze minutes par tranche de 3 heures comme il le souhaite, et empiètera donc sur sa prochaine pause.
25 heures de tapotage derrière lui, et le gonze ne montre pour seul signe de faiblesse qu’une voix étouffée, et des coulées de sueurs dignes des chutes du Niagara. Pour le reste, ses phalanges parcourent le clavier avec la dextérité d’un Asafa Powell avalant ses 100 mètres, et il se permet même le luxe de se lever sur certains refrains, comme pour provoquer l’horloge fatidique qui trône devant son piano. Dernière ligne droite, dernière marche de l’escalier à gravir pour entrer dans l’Histoire. Depuis l’après-midi la scène s’est bariolée, recouverte petit à petit de confettis et de serpentins, et Gonzales a troqué son working chair rouge (sûrement aussi imbibé qu’une éponge mouillée) par un autre du même acabit. L’entertainer est alors entré dans un état de transe, en communion totale avec ses longs solos, qui grignotent inexorablement les secondes de leurs petites incisives. A 26 heures de concert, une « gonzette » à chapeau pailleté arrive derrière lui, et lui bande les yeux d’un ruban bleu. Dans 12 minutes exactement, le record précédent détenu par Prasanna Gudi depuis 2008 ne sera plus que de l’histoire ancienne. Le public se met debout, et l’accompagne en frappant des mains en rythme sous l’œil chafouin de l’arbitre du Guinness Book se tenant le menton anxieusement à l’approche de l’heure H. « Cinq, quatre, trois, deux, un…zéro !! ». Les cotillons serpentent, des trompettes de fortune retentissent et des boules de papier mâché quadrillent un public en liesse, dont certains qui se lâchent d’autant plus qu’ils attendaient ce moment depuis minuit. Record battu mais contrat encore non rempli, car Gonzales a promis de jouer pendant 27 heures. Il enchaîne avec le fameux Tainted Love qui se meut en un Wake Me Up Before You Go-Go. Effet immédiat, le public se lève avec lui et lui fournit un chœur improvisé, pour les dernières 15 minutes avant l’aboutissement de ces 27 heures de marathon musical. Un final qu’il ponctuera en chantant, fébrilement mais de manière juste, son dernier single Slow Down accompagné comme il se doit par la salle tout entière. Le juge lui remet alors son certificat de recordman du monde. Le cadre du minuscule Ciné 13, intimiste tout au long du concert, s’élargit alors brusquement sans crier garde. A cet instant précis, les caméramans et photographes s’emparent de la scène, comme pour nous rappeler que l’événement est suivi aussi sur internet, et dans plusieurs pays. Un concert record du monde à taille humaine, pour une performance physique de dimension surhumaine, en somme. Gonzales est grand, Gonzales détient le record.
Julien Coquet et Pierre Siankowski
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