Baz Luhrmann signe un film somptuaire et intelligent sur un King trop divin pour les formules consacrées du genre biopic.
Les personnalités qui passent cette année à la moulinette de l’usine à biopics hollywoodienne émanent d’une catégorie inhabituellement haute de célébrité. La plus haute en fait, celle du mythe – si élevée qu’elle remet en cause les recettes standard du genre biographique.
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Car incarner Marilyn (dans Blonde, en septembre sur Netflix) ou Elvis, c’est se mesurer à une image indépassable : une image plus solidement fixée que toutes dans les esprits et les mémoires, et qui a d’ores et déjà enfanté sa propre iconographie, son monde inépuisable de copies, de répétitions, de variations, de parodies, au point qu’il ne soit plus vraiment possible d’atteindre à nouveau l’original pour lui offrir une réincarnation classique.
Un miracle nommé Elvis
Et c’est peut-être un problème pour les films, mais sans doute aussi une opportunité : celle de secouer le cocotier d’un genre biographique par trop engoncé dans son schéma éculé de rise and fall. Et Elvis, à ce titre, est presque un anti-Walk the Line : il invente une autre forme, non plus à partir non plus des tourments de la rockstar torturée, son ego, ses angoisses, mais simplement à partir du miracle de sa perfection. Elvis est parfait, ce qui est assez paradoxal dans le film étant donné qu’Austin Butler, son interprète, ne l’est pas. Ou en tout cas, qu’il n’est pas Elvis, pas plus que n’importe quel sosie baguenaudant à Las Vegas.
Mais Baz Luhrmann construit néanmoins son film autour de l’idée de cette perfection, qui l’amène à adopter des partis pris assez étonnants : par exemple, expédier totalement la question du talent. Le talent du King relève plutôt dans le film du miracle, éventuellement religieux (il part d’ailleurs de scènes d’enfance très troublantes, où le jeune Elvis est transfiguré comme un jeune prophète par la découverte des chants gospel d’une église noire). Le corps par lequel il passe ne semble jamais en mesure de le contrôler, de le décider : le génie musical, vocal et surtout gestuel du chanteur semble s’imposer à lui. Ses déhanchements s’emparent de lui sur scène sans qu’il paraisse vraiment savoir ce qu’il fait – il accepte simplement d’être le véhicule de cette révolution sexuelle américaine puis planétaire qui passe au travers de son corps.
Ce qui apparaît, au final, c’est que Luhrmann était un très bon choix pour mettre en scène une vie d’Elvis, par sa légendaire démesure mais aussi et surtout son goût assumé de l’artifice. Car le sujet, ici, ce n’est pas la carrière d’un homme, mais l’apparition d’un Dieu – et tout de suite la gestion de ce Dieu, le commerce publicitaire de son miracle, pas tant par lui que par les requins qui se l’arrachent (au premier rang desquels le colonel Parker, son manager crapuleux incarné par Tom Hanks) et finiront par avoir sa peau. Ne reste qu’à découvrir dans quelques mois de quelle manière Andrew Niccol répondra dans Blonde aux mêmes questions.
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