Une exposition lumineuse à Beaubourg sur l’un des plus grands photographes du XXe siècle, qui a su donner à son art ses lettres de noblesse en renonçant au beau pour mieux montrer le vrai.
L’exposition que consacre le Centre Pompidou à Walker Evans s’ouvre sur un texte qu’il écrivit lors de son “voyage initiatique“ à Paris en 1926, devoir rédigé dans un français élégant, bien que bourré de fautes, par le jeune étudiant à la Sorbonne. Cette “enquête” commence ainsi: “Je m’imagine journaliste (que cela arrête là, avec l’imagination) ; je suis chargé d’aller voir un homme de lettres ; une interview“. “Votre nouvelle fantaisie primesautière m’a de nouveau fort intéressé“, note le professeur en marge, qui lui donne 11/20.
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Journaliste, Evans le deviendra mais sous la forme que l’on sait : la photographie. Il se destinait pourtant aux lettres, lui qui traduisit dans sa langue Cendrars, Gide, Huysmans, Baudelaire surtout dont il déclara que “l’esprit l’avait influencé à tous les égards“.
Remettre en cause l’art
A la fin de l’exposition, dans une interview filmée à la fin de sa vie, il rappelle l’importance fondamentale de la littérature sur son travail. Entre les deux se déploie cette rétrospective magnifique : plus 400 œuvres, complétées par les collections personnelles de l’artiste : clichés, portraits anonymes ou autre curiosités qui le fascinaient.
Photo: © The J. Paul Getty Museum, Los Angeles
Evans fut le photographe de l’Amérique des sans noms, des invisibles, des gens de peu. Passants photographiés de dos, objets du quotidien ; grandes routes, enseignes, vitrines. Autant de sujets méprisés à l’époque par les tenants de la “photographie d’art“ focalisée sur le portrait posé, le paysage, la recherche du beau. Lui commence au contraire par une sorte de naturalisme, cette exigence de montrer les choses telles qu’elles sont.
Il veut même aller plus loin, “se faire voyant“, comme l’écrivit Rimbaud ; remettre en cause l’art qui n’a, selon lui, “aucune utilité“ en lui opposant le “document“, ce style documentaire qu’il a inventé. Remettre en cause aussi l’auteur, cette notion délétère, petite-bourgeoise : dans ses premiers autoportraits, il disparaît au profit de son ombre, allégorie de l’effacement de l’artiste qu’il préconise.
Le chantre du “vernaculaire”
Evans marche dans les villes et transcrit ce qu’il découvre. Il fuit le sensationnel, le spectaculaire, le pathos, se méfie du misérabilisme. Il cherche la vérité crue, brute, nue. Aussi quand la crise de 1929 explose, il ne s’étonne pas : il a déjà prédit “l’effondrement du monde“, à force d’observer cette Amérique d’en bas. Il la voit au regard des écrivains symbolistes cités plus haut. Décadence et réalisme noir. Une connaissance par les gouffres qui nourrira ce chef d’œuvre conçu avec l’auteur James Agee, le livre Louons maintenant les grands hommes, fruit de huit semaines à vivre aux côtés de familles de métayers frappés par la crise.
L’exposition ambitionne de montrer Evans comme le chantre du “vernaculaire”, terme quelque peu savant qui désigne l’utile, le domestique et “ce qui est issu de la culture populaire, des pratiques amateurs ou sans prétention artistique”. Un concept éclairant pour expliquer sa fascination pour ces objets d’artisans, panneaux publicitaires, clichés anonymes qu’il collectionnait de façon compulsive.
Mais l’allégorie du chiffonnier de Walter Benjamin, développée par la conservatrice Julie Jones dans le catalogue, semble plus pertinente pour saisir la démarche d’Evans dans toute sa subtilité et sa complexité. Car c’est bien comme un chiffonnier, en farfouillant dans les déchets et rebuts de la modernité – détritus industriels, affiches déchirées, carcasses d’automobiles, le junk comme on dit outre-Atlantique – que l’artiste lit, tel un historien ou un devin, les symptômes de son époque autant que les promesses que réserve l’avenir.
Walker Evans au Centre Pompidou, jusqu’au 14 août
A lire : Walker Evans, par Clément Chéroux (catalogue de l’exposition, 320 p, 50 €) ; Walker Evans en 15 questions, par Gilles Mora (Hazan, L’art en question, 16 €)
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