Alors que certaines figures d’extrême-droite ont osé la minorer, la rafle du Vel d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942 reste une horreur absolue. Analysant avec une précision inédite la responsabilité de la police parisienne sous l’autorité du régime de Pétain, l’historien Laurent Joly en fait le récit glaçant. Jamais Vichy n’abandonna plus de Juifs français à la machine exterminatrice nazie que ce jour-là.
Que faire face à la malhonnêteté intellectuelle et la falsification historique auxquelles se prêtent sans vergogne certaines figures du débat public, parmi lesquelles un ancien candidat à l’élection présidentielle osant affirmer que le régime de Vichy fut un “moindre mal pour les Juifs de France” ? Que faire, sinon de l’histoire ? C’est bien à ce geste scientifique construit sur une rigoureuse méthode de recherche que se livre Laurent Joly, spécialiste du régime de Vichy, dont le nouvel essai, La rafle du Vel d’Hiv (Grasset) prolonge et consacre un travail de recherche au long cours sur Vichy et l’antisémitisme, illustré en 2018 par la publication de L’État contre les juifs (Grasset).
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Cette consécration tient évidemment à la façon dont l’historien maîtrise son sujet, mais aussi au fait que la rafle du Vel d’Hiv du 16-17 juillet 1942 porte un poids particulier tellement fort qu’on ne peut le réduire à un événement historique parmi d’autres dans l’histoire de la collaboration. Elle symbolise à elle seule ou presque l’ignominie du régime de Pétain.
Déportation
Les faits sont connus : plus de 8 000 hommes et femmes, juifs polonais pour la plupart, et près de 40 00 enfants, le plus souvent français, furent arrêté·es par la police parisienne, traîné·es en direction des centres de triage (écoles, gymnases…), puis transféré·es par bus, soit vers le “camp juif” de Drancy, soit vers la salle des sports du Vélodrome d’Hiver dans le 15e arrondissement. Le lendemain, les arrestations reprenaient. Bilan définitif : 12 884 victimes, réparties entre Drancy et le Vel d’Hiv. Avant la fin du mois d’août 1942, plus de 5 000 d’entre elles, des enfants surtout, auront été gazées à Auschwitz ; quant aux autres, peu survivront aux camps nazis.
Si les faits en eux-mêmes ont été largement documentés et ont imprimé peu à peu la mémoire nationale, ils n’avaient jamais été décrits avec autant de précision. Certes, des travaux pionniers, dont ceux de Georges Wellers dès 1949, puis de Claude Lévy et Paul Tillard, auteurs de La grande rafle du Vel d’Hiv en 1967, ou encore de Serge Klarsfeld qui en 1983 met en lumière le rôle de René Bousquet, chef de la police de Vichy, avaient déjà mis au jour les mécanismes de la rafle. Mais, le rôle de la police parisienne était restée relativement méconnu. Jusqu’au début des années 1980, les manuels scolaires décrivaient encore une opération exécutée par les seules autorités nazies. “L’arrière-plan administratif et la logistique policière des arrestations n’ont été que peu étudiés, et jamais dans le détail”, rappelle l’auteur. Car la rafle fut bien exécutée par une seule et même instance : la préfecture de police et ses milliers d’agents, des gardiens de la paix pour l’essentiel. “Aucun soldat allemand, aucun policier SS n’y prirent part”, rappelle Joly à celles et ceux qui en doutaient encore.
Une histoire à hauteur d’homme et de femme
La puissance du livre repose sur une documentation riche et variée, renouvelant un corpus d’archives déjà établi. L’historien a construit son récit minutieux grâce à des entretiens avec huit rescapé·es, mais aussi en ayant recours à des sources inédites (dossiers de police, registres d’hôpitaux, fonds privés inédits…) permettant de faire revivre le quotidien des victimes face à la persécution. Plus encore, Joly a réussi à rassembler des témoignages de policiers parisiens, jusque-là inconnus, après avoir dépouillé les 4 000 dossiers d’épuration administrative des agents de la Préfecture de police ayant eu à rendre des comptes à la Libération. Reposant sur toutes ces sources, Laurent Joly propose ainsi une “histoire à hauteur d’homme et de femme”, c’est-à dire une “histoire incarnée, au plus près des individus, persécutés comme persécuteurs, de leur état d’esprit, de leur vécu quotidien, de leurs marges de décision”. Une histoire “globale”, aussi, soucieuse de “restituer la multiplicité des points de vue, des destinées, attentive au contexte de la politique nazie et de la collaboration d’État”.
Dans cet entrelacement continu d’une analyse dévoilant la logistique policière et politique et d’une dimension intime, illustrée par des paroles de victimes, le livre touche à un point d’équilibre bouleversant. Sans cesse, les mots déchirants de jeunes gens aux portes de la mort viennent percuter la froideur ignoble de ceux qui la préparent. Comme ceux de cette Polonaise de 20 ans Rachel Polakiewicz, arrêtée rue Vieille-du-Temple avec ses parents, qui écrit à sa voisine : “je vous assure qu’on croit rêver, ce n’est pas possible qu’une chose aussi horrible nous est arrivée et pourtant, c’est la triste vérité. On entend de temps en temps des cris de femmes, ça nous donne la chair de poule”. Le jour même, ce 17 juillet, Heinrich Himmler, visitant le complexe d’Auschwitz-Birkenau, assiste, “transporté de bonheur” au gazage d’un convoi de Juifs hollandais, alors que les fours crématoires sont en cours de construction. “La prophétie du Führer peut s’accomplir”.
L’acte “irréparable” de la rafle du Vel d’Hiv fut bien de l’avoir servie avec un zèle inouï, dont Laurent Joly saisit au plus près l’effroi qu’il continue de susciter, 80 ans plus tard.
Laurent Joly, La rafle du Vel d’Hiv (Grasset) 388 p, 24 euros. En librairie.
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