Que ce soit en France avec Jean-Luc Mélenchon ou aux États-Unis avec Bernie Sanders, la gauche qui marche est très marquée à gauche. Pourtant au Royaume-Uni, cette démarche entamée il y a deux ans par Jeremy Corbyn n’a pas pris. Mais pourquoi donc ?
« Jeremy Corbyn… 251 000. » Le 15 septembre 2015, Jeremy Corbyn accueille le nombre de voix écrasant le portant à la tête du parti travailliste avec un sourire contenu. Il semble presque étonné. Après 32 ans comme député d’Islington-North, quartier mi-cossu mi populaire du nord de Londres, son élection à la tête du Labour est un triomphe. Plus large encore que celui de Tony Blair, 21 ans plus tôt. L’accession aux responsabilités du sexagénaire sans cravate à la fine barbe blanche, intervient après la déroute de son parti aux élections générales, largement imputée à son prédécesseur, Ed Miliband. L’engouement est alors énorme. Des photos de ses années de jeune militant anti-nucléaire refont surface. Corbyn est séduisant, plutôt beau gosse, est surnommé Jezza par ses supporters sur les réseaux sociaux, dont certains s’affublent eux-mêmes du nom de Corbynistas.
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Moins de deux ans plus tard, l’engouement est retombé comme un dessert gélatineux percé d’un coup de couteau. Alors que Theresa May, depuis portée à la tête du pays après la démission de David Cameron, a appelé à des élections anticipées pour asseoir son pouvoir, on voit mal comment le Labour peut échapper à la déroute. Lors des élections locales du 4 mai, les travaillistes ont déjà perdu 382 sièges sur 4851. Pendant que les conservateurs remportaient une victoire écrasante et 563 sièges. Qu’a-t-il donc manqué au projet de Jezza ?
God (doesn’t) save the queen
« En politique plus qu’ailleurs, on n’a pas deux chances de faire une bonne première impression. » Les mots sont les premiers lâchés par un membre du Labour, qui, pour éviter les dissensions au sein du parti préfère garder l’anonymat, mais n’hésite pas à cribler de balles un leader dont il ne veut plus. Cette personne, que l’on nommera Charles Waugh, fait référence au premier coup d’éclat de Corbyn. Lors d’une cérémonie commémorative en hommage aux soldats tués lors de la Bataille d’Angleterre, la première victoire des alliés pour enrayer la machine nazie en juillet 40, God Save The Queen retentit dans la cathédrale Saint-Paul. Alors que l’ensemble des convives entame l’hymne national, Corbyn affublé d’une cravate rouge pour l’occasion, se tait. « Déloyal » et « déshonorant » sont alors les mots qui reviennent le plus dans les critiques des députés des deux camps. Sûrement les plus polis, aussi.
À l’époque, le Guardian, publie un article soutenant le « républicain » et son « authenticité ». Plus étonnant, le Telegraph, journal plus à droite, n’apporte bien sûr pas un clair soutien à Corbyn mais en profite pour se fendre d’une tribune sur God Save The Queen comme un hymne périmé. Si Corbyn est aussi impopulaire aujourd’hui, c’est pourtant en grande partie du fait des médias. À écouter Gordon Munro, candidat du Labour dans la circonscription d’Édimbourg Nord et Leith, on dirait presque que c’est la seule raison. « Les médias préfèrent attaquer le personnage, le diaboliser plutôt que parler de ses idées. Que ce soit la BBC ou même le Guardian. C’est un lavage de cerveaux. Les gens sont détournés des propositions. » Professeur d’études politiques à l’University College London, Philippe Marlière suit l’évolution du Labour à Londres depuis 23 ans. Plus mesuré, il partage le même point de vue sur le rôle des médias. « Comme Sanders et Mélenchon, Corbyn se heurte aux intérêts dominants, analyse-t-il. Les propriétaires de groupes de presse n’aiment guère la figure du trublion qui repositionne le débat politique à gauche. Il y a une opposition idéologique très nette. Dès qu’un dirigeant travailliste est trop à gauche, on lui tombe dessus. On parle de ‘rouge’, de ‘cryptocommunistes’. C’est un classique. »
Manque d’ouverture et de jovialité
Pour autant, le travail de sape de la presse contre le leader travailliste ne peut pas entièrement expliquer son échec. Pour Marlière, Corbyn a déçu. Au sein de son mouvement et surtout à l’extérieur. On lui reproche déjà son manque d’ouverture aux autres composantes du parti. Marlière explique : « Il n’a pas saisi cette chance historique d’ouvrir sa tendance, de l’aile gauche, très minoritaire, pour faire cette synthèse vers des composantes plus modérées. Pas les blairistes, ni les néo-libéraux. Mais des socio-démocrates bon teints, localement bien implantés, souvent d’origine ouvrière et qui n’attendaient ça. »
Plus grave encore, on lui reproche un manque de clarté et de ligne directrice. Sur la façon de combattre les conservateurs à travers la lutte contre les coupes budgétaires, mais surtout sur un autre sujet : le Brexit, sur lequel il a tardé à prendre position. Philippe Marlière affine : « Personnellement, il n’est probablement pas mécontent de la sortie. Il est de ce courant de la gauche britannique qui voit l’UE comme un club de capitalistes. Mais ça s’est fait sur des thématiques xénophobes et il n’a pas été là pour combattre UKIP ou Boris Johnson sur ce point-là. » Ce manque de combativité, de présence sur des combats clefs de la lutte contre les conservateurs, est un problème récurent chez Corbyn. Exemple de Philippe Marlière : « Quand il s’absente deux jours pour mener une campagne pour les droits palestiniens dans un coin reculé du pays alors qu’il y a un gros coup de feu sur le NHS (le système de santé publique britannique, ndlr) au parlement, ça passe très mal. » Le week-end de son élection, Corbyn a également décliné l’invitation d’Andrew Marr, présentateur d’une émission politique très suivie sur BBC 1. La raison ? Un engagement de longue date d’apparaître dans un meeting anti-guerre, devant une foule de convaincus. « D’un point de vue de politique utilitariste, c’est une catastrophe. Ça montre qu’il n’est pas adapté à la communication moderne », estime Philippe Marlière.
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Corbyn est peut-être un peu trop droit. Peut-être trop entier. Plus, sûrement, que Jean-Luc Mélenchon qui a « troqué son costume de banquier du Mitterrandisme contre une veste en cuir noir et une paire de jeans », se permet de rappeler Marlière. Cette image de gaucho barbu, végétarien à bicyclette qui ne boit pas d’alcool, Corbyn ne l’a jamais cultivée. C’est ce qu’il est. Et être réduit à ça par la presse et ses opposants peut parfois le desservir. Marlière assure : « Le style Corbyn ne plait pas forcément en dehors de Londres. La culture travailliste dans les bastions du Nord est très différente. Il faut boire sa pinte de bière, être un peu plus jovial. Ce que n’est pas Corbyn. »
Au-delà du style, le seul fait d’être Londonien et élu à Londres est loin d’être un avantage. « On voit des micros-trottoirs avec d’anciens mineurs gallois ou des travaillistes écossais qui votent maintenant SNP (Scottish National Party) qui disent ne pas le comprendre. Parce qu’il est Londonien. Ils le voient comme un gauchiste, au sens Léniniste. Ce n’est pas ce que la classe ouvrière veut. Ils préfèrent quelqu’un de plus mainstream qui va pousser au parlement. Ces grands discours sur la Palestine et la paix dans le monde, ce n’est pas ce qui est attendu en priorité. »
Mauvais CV
Trop de gauche, Corbyn ? Trop radical ? Pour Charles Waugh, cela semble évident. Il ironise : « Je pense qu’il se considère sûrement lui même comme trop à gauche ! Il s’est créé cette image de militant radical, anti-impérialiste durant sa carrière. Ce n’est pas une création des Tories, c’est la sienne. » Pour Waugh et son entourage, le bilan est simple : « Jeremy Corbyn n’a pas le CV que les électeurs recherchent chez un premier ministre potentiel. » Une affirmation que les sondages semblent confirmer. Le 10 mai, YouGov sortait une étude prévoyant une victoire des Tories avec 46% des voix contre seulement 30% pour le Labour. Selon le Financial Times et le Telegraph, le parti de gauche ne ferait que 29%. Pour autant, Waugh prétend qu’il n’est pas trop tard pour inverser la tendance. Mais lorsqu’on lui demande comment y parvenir, il ne peut que bafouiller quelques mots, sur des déclarations fortes à prononcer sur « l’armée et le programme nucléaire. » Sa voix se fait plus posée lorsqu’on évoque l’avenir. « Si le Labour gagne des sièges, il aura gagné tant au niveau interne qu’au niveau électoral. Si on en perd, comme 382 conseillers viennent de perdre leurs sièges aux élections locales, alors je suis sûr qu’il saura faire au mieux pour son parti, son pays et ses valeurs. » Le deuil semble déjà effectué. Pour l’avenir, Waugh souhaite un leader plus concentré sur les problèmes majeurs qui offre des réponses concrètes. Marlière imagine lui un leader plus jeune, plus en phase avec les médias actuels. Et qui ne rechigne pas à chanter God Save The Queen ?
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