Le photographe suédois fait paraître un nouveau livre somme de portraits d’hommes réalisés au fil de trente années.
The Frame en français se traduit par “le cadre”. Le cadre, c’est la première chose que l’on apprend en photographie. Le cadre et la lumière. Que JH Engström baptise ainsi son nouveau livre ne peut être innocent. D’autant que des livres, Engström n’en a presque plus fait depuis le grand Tout va bien (Aperture), il y a sept ans (même si, entre-temps, un livre discret, Day by Day, sorti en 2020 chez Pierre Bessard, nous avait ébloui·es).
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Chez d’autres photographes, cet écart entre deux publications ne signifierait rien (qui plus est dans une période marquée par deux ans de pandémie et un marché en grande souffrance). Chez le Suédois turbulent, cela correspond à quelque chose comme une crise profonde. Engström est aux yeux de la critique un photographe qui fait “avant tout” des livres.
L’art délicat et impardonnable des enchaînements : le seul élément sur lequel se juge un photo book
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne se laisse pas accrocher, mais il se distingue par cet instinct qui est le sien dans la réalisation d’un photo book, sa façon de toujours taper juste dans le choix du format comme dans celui du layout (le chemin de fer, si vous préférez, ou l’art délicat et impardonnable des enchaînements, le seul élément sur lequel se juge un photo book, qui ne saurait jamais être uniquement une succession de jolies images mais l’invention d’une rythmique par l’image).
Aucune base sur laquelle s’appuyer
C’est avec Trying to Dance (paru chez Journal en 2003), depuis des années introuvable, que Engström, qui avait alors 34 ans et avait été longtemps l’assistant de Mario Testino, est entré dans le club fermé des très grands photographes. Depuis, chacun de ses bouquins épingle un doute intime pour voir ce qu’il en ressort. On sait que Engström considère The Frame, qui paraît chez Pierre von Kleist (magnifique maison d’édition indépendante basée à Lisbonne), comme un tournant, alors qu’il repense trente ans de portraits et pourrait se lire comme une compilation thématisée. Car il s’agit de portraits d’hommes, mais aussi d’hommes trans, et d’une grosse dizaine d’autoportraits.
Croire en l’homme en 2022, c’est compliqué : l’heure est heureusement aux comptes à rendre
Un livre d’un homme cis blanc, sur le masculin, en 2022 ? Euh… vraiment ? The Frame, donc, le socle. Mais ce socle, nous dit le livre en commençant sur dix-sept photos d’une roche crayeuse qui s’effrite, s’abîme, se fendille ou pourrit, n’a plus aucune base sur laquelle s’appuyer. Et il faut en revenir à l’image pour dévisager ce qu’il reste d’enviable, de désirable, encore, dans l’homme.
Gueules cassées, mecs amochés
Croire en l’homme en 2022, c’est compliqué : l’heure est heureusement aux comptes à rendre. Alors, que veulent nous dire ces portraits masculins, saisis frontalement au plus près, sous une lumière le plus souvent brute ? Sont-ils à la recherche d’une masculinité souveraine ?
On se rassure, c’est plutôt tout le contraire au vu de la galerie de gueules cassées, de mecs perdus, à nu, cicatrices en avant, au tapis, bel et bien amochés, aplatis par une douleur au ventre qui les stupéfie. Ici, le seul point par lequel le cadre peut encore se dire, c’est par le coin qui manque, la brèche qui le fait pendouiller. Encore là, l’homme, selon Engström, toujours en vie mais de traviole, trouvant son identité, sa vérité dans les ecchymoses qui le défigurent et le rendent enfin humain. Tout sauf un retour à l’ordre ancien.
The Frame de JH Engström (Pierre von Kleist), 358 p., 55 €. Commande en ligne.
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