Dans deux expos parisiennes, la scène artistique africaine affiche sa formidable énergie dans une débauche de formes. Le temps de sa reconnaissance publique est enfin venu.
“Rendre visible la contemporanéité d’un continent” : c’est à cette exigence, formulée par le critique d’art et commissaire Simon Njami, que répondent avec une certaine élégance, nourrie par un vif esprit de curiosité, deux ambitieuses manifestations parisiennes : Afriques capitales, à la Villette, et Art/Afrique, le nouvel atelier, à la Fondation Louis Vuitton.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Si, grâce à un réseau de collectionneurs et commissaires (Jean Pigozzi, Marie-Ann Yemsi, Dominique Fiat, André Magnin…), de nombreux artistes sortent enfin de l’invisibilité à laquelle ils furent longtemps assignés, nous avons encore beaucoup à apprendre (et à voir) de ce qui vibre au cœur d’une scène prolifique, moins homogène qu’ouverte à de multiples gestes, regards et médias.
L‘Afrique du Sud, une scène spécifique
Notamment ceux de la scène spécifique de l’Afrique du Sud dont l’exposition Etre là, conçue par Suzanne Pagé et Angéline Scherf à la Fondation Vuitton, souligne la grande vitalité, elle-même indexée à un réseau de galeries et d’universitaires, moteur dans l’activation de nouvelles générations d’artistes.
Dans la foulée de quelques anciens désormais reconnus, comme William Kentridge, Jane Alexander, David Goldblatt ou Sue Williamson, des artistes nés dans les années 1970 et 1980 posent un regard vif sur leur pays, toujours hanté par la question de l’apartheid, autant à travers l’héritage encore proche de son histoire récente qu’à travers son prolongement palpable dans la reproduction de tensions sociales et raciales.
Renouveler la tradition de la “struggle photography”
Dans le regard de nouveaux brillants photographes, la jeunesse africaine – les born free (nés après 1994) – se dévoile fièrement, avec panache et une énergie confondante. Renouvelant la tradition de la struggle photography, documentant les luttes des townships sous l’apartheid, cette approche documentaire se concentre aujourd’hui sur des formes d’affirmation individuelle, passant en particulier par le style, l’androgynie et l’excentricité, à l’image des sublimes cool kids de Johannesburg, photographiés par Kristin-Lee Moolman, mais aussi des fêtards, issus de la scène rock, captés dans la belle série de portraits de Musa N. Nxumalo.
De la question du héros anonyme, après la mort de Nelson Mandela, abordée dans la série de portraits sur toile de Thenjiwe Niki Nkosi, à la question du statut des minorités, surtout lorsqu’on est femme, noire et lesbienne, traitée par la photographe Zanele Muholi, l’art sud-africain porte en lui les traces d’un traumatisme national autant qu’il questionne l’impossibilité d’en conjurer complètement l’héritage.
La collection de Jean Pigozzi, un fonds unique
Cette formidable vitalité, propre à la société sud-africaine, s’inscrit dans un mouvement plus large, excédant ses frontières, comme le prouve une autre belle exposition à la Fondation Vuitton : Les Initiés, choix d’œuvres de la collection de Jean Pigozzi conseillé par André Magnin depuis les années 1980.
Présenté pour la première fois à Paris, ce fonds unique de l’art contemporain de l’Afrique subsaharienne dégage, dans l’espace qui lui est réservé, une émouvante vitalité à la fois pop et grave, ancrée dans une culture mais délestée de son folklore.
Des images iconiques des deux photographes maliens Malick Sidibé (disparu en 2016) et Seydou Keïta, aux drôles et provocantes peintures des Congolais Moké et Chéri Samba, concentrant en elles l’énergie et le désespoir de leur pays, des masques rituels en bidons d’essence du Béninois Romuald Hazoumè aux villes imaginaires en maquette de carton de Bodys Isek Kingelez (disparu en 2015)…, la collection de Jean Pigozzi rappelle que l’énergie créatrice du continent africain, enfin reconnue dans sa diversité, se déploie depuis plusieurs décennies déjà.
Les artistes exposés à la Villette dans Afriques capitales – Pascale Marthine Tayou, Nabil Boutros, Mimi Cherono Ng’ok, Hassan Hajjaj… – sont aussi les héritiers d’une élégance stylistique contenue dans la collection Pigozzi. Capital, l’art contemporain africain est enfin sorti de son atelier perdu pour susciter l’admiration de tous ceux qui l’ignoraient.
Art/Afrique, le nouvel atelier, jusqu’au 28 août, Fondation Louis Vuitton, Paris XVIe
Afriques capitales, jusqu’au 28 mai, Grande Halle de la Villette, Paris XIXe
Lire Jean Pigozzi, dans la peau d’un collectionneur de Catherine Grenier (Flammarion), 200 p., 25 €
{"type":"Banniere-Basse"}