La troupe du Français s’accorde au cirque cruel voulu par Katharina Thalbach pour donner à La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Brecht le ton dénonciateur d’une farce aux allures de cauchemar.
La volonté de pouvoir des mafieux passe d’abord par leur mainmise sur le territoire. En inscrivant sa mise en scène sur le tirage bleu d’un plan d’urbanisme, Katharina Thalbach se joue de cette vérité, tout en superposant à la trame des rues le réseau d’un filet tendu qui bientôt va se dresser et clore l’ouverture du plateau, à la manière d’une immense toile d’araignée.
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En recourant à cette scénographie minimale qui associe pragmatique et métaphorique, la metteure en scène allemande matérialise les deux objectifs visés par Bertolt Brecht quand il imagine, en 1941 lors de son exil aux Etats-Unis, La Résistible Ascension d’Arturo Ui à la manière d’un gangster show.
Se grimer pour accentuer le grotesque des personnages
Une pièce conçue pour séduire le public de Broadway où l’auteur se réfère aux intrigues des truands de Chicago pour mieux cibler l’obscénité du régime nazi, à travers le récit de l’accession au pouvoir d’un Adolf Hitler caricaturé en chef aux petits pieds d’un clan de voyous à la gâchette facile.
Fille de l’actrice Sabine Thalbach et du metteur en scène Benno Besson, Katharina Thalbach est une enfant de la balle ayant passé sa jeunesse dans les coulisses du Berliner Ensemble. C’est dans la plus pure tradition de cette institution créée par Brecht à Berlin-Est en 1949 qu’elle incite la troupe des acteurs du Français à se grimer pour accentuer le grotesque de leurs personnages, et à s’armer d’ironie pour provoquer les rires grinçants qui sont le propre de la farce.
Dans leurs costumes cousus de fil blanc, dans leur manière de jouer comme des circassiens en grimpant sans cesse sur les cordages de leur toile, tous sont formidables et leur performance s’avère aussi radicale que glaçante.
Laurent Stocker atteint des sommets dans l’art de l’outrance gestuelle
Figures de cette voyoucratie dont les modèles sont Hermann Göring, Ernst Röhm et Joseph Goebbels, Serge Bagdassarian, Thierry Hancisse et Jérémy Lopez forment un trio de porte-flingues à la hauteur de la catastrophe politique qu’ils dénoncent.
Extraordinaire dans le rôle d’Arturo Ui, Laurent Stocker atteint des sommets dans l’art de l’outrance gestuelle quand, comme ce fut le cas pour Hitler, il prend des cours de maintien auprès d’un comédien réquisitionné qu’incarne avec tendresse le délirant Michel Vuillermoz.
Quand l’hypothèse du populisme frappe à notre porte, l’idée d’un théâtre populaire se permettant encore de rire du pire, demeure le signe d’une résistance qui ne baissera pas les bras.
La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht, mise en scène Katharina Thalbach, avec Laurent Stocker, Thierry Hancisse, Serge Bagdassarian, Florence Viala, Eric Génovèse, Bruno Raffaelli, jusqu’au 30 juin à la Comédie-Française, salle Richelieu (en alternance)
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