Treize ans après leur projet Home, Benjamin Biolay et Chiara Mastroianni chantent à nouveau ensemble sur le nouvel album de Benjamin, Volver. Aujourd’hui, entre disques et films, scène et plateaux, leur vie tourne toujours autour des mêmes passions, souvent partagées.
C’était en 2004. Chiara Mastroianni et Benjamin Biolay formaient un couple d’une absolue perfection et entrouvraient les portes de la perception de leur intimité avec Home, disque cool et lumineux d’amour. Treize ans plus tard, une fille, une séparation, deux vies, des disques et plein de films plus loin, on les retrouve ensemble autrement sur Volver, le nouvel album de Biolay sous perfusion argentine – illuminé par des titres d’une rare puissance (Sur la comète, Le Nuage, Roma (amoR) ou encore Happy Hour featuring Catherine Deneuve).
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Quelques mois auparavant, la superbe Chiara avait illuminé de sa présence la tournée de Palermo Hollywood, disque déjà façonné dans le pays de Borges et Maradona. L’occasion rêvée donc de les réunir pour une interview simple, lucide et complice, qui revient sur une vie d’artistes, tant de raisons et de sentiments, loin de la foule et des passions, où il sera question de PNL, de Morrissey ou encore de Zinedine Zidane.
Home, l’album que vous aviez enregistré en duo, date de 2004. Comment vos goûts ont-ils évolué depuis ? Avez-vous toujours les mêmes accords et désaccords musicaux ?
Chiara Mastroianni – J’écoute des choses qui sortent maintenant, évidemment, mais on a continué d’écouter ce qu’on a toujours aimé. Martin Newell, Neil Young, Stevie Wonder. On est assez raccord. Sauf sur les effets de voix.
Benjamin Biolay – Elle n’aime pas le Vocoder, le ringtone, l’Auto-Tune…
Chiara Mastroianni – Mamie, elle n’aime pas trop le Vocoder, non ! Quand il me faisait écouter les titres du nouvel album sur lesquels il y a des effets, je le voyais qui me regardait en coin en studio (rires). Le rap, j’ai moins de culture que lui mais j’aime bien. Les raps espagnols, comme La Mala Rodriguez, qui chante sur le disque – genre tous les trucs en import Fnac, je ne sais pas si on dit encore ça –, je connais moins.
Benjamin Biolay – Elle dit ça mais elle ment, elle a une vraie culture rap, c’est de la modestie…
Et PNL ? Benjamin, il y a un titre qui semble inspiré par le duo sur Volver…
Benjamin Biolay – J’aime vraiment PNL, c’est concret. L’autre jour, j’ai fait un blind-test et c’est le seul titre que j’ai reconnu de façon immédiate. J’adore leurs clips. C’est rare, un engin aussi abouti.
Chiara Mastroianni – J’aime bien aussi PNL. Un truc que j’ai adoré cette année, c’est Big Baby D.R.A.M, l’album de D.R.A.M. – c’est un mec avec des dreads hyperlongues, qui joue avec une marionnette dans son clip. J’en avais parlé à Benjamin, qui m’avait un peu renvoyé dans les cordes : “C’est du rap de bac à sable ton truc…”
Benjamin Biolay – Mais non, pas du tout, c’est bien !
Sur Volver, vous chantez en duo ¡Encore Encore!, une chanson qui raconte la discontinuité d’une relation amoureuse en même temps qu’un rapport physique. Benjamin, ça a tout de suite été évident que tu voulais la chanter avec Chiara ?
Benjamin Biolay – Le sens de la sensation et nos deux voix qui chantent “je rentre et sors”, je savais que ça allait bien marcher. Et puis Chiara n’écoute pas les textes, c’est ma France Gall… (rires)
Chiara Mastroianni – Mais bien sûr que j’écoute les textes ! Je suis à fond karaoké ! Je lis les textes dans les pochettes !
Cela représente quoi pour vous de chanter ensemble ? Vous avez été mariés, fait un disque tous les deux, fait de la scène…
Chiara Mastroianni – La chanson, entre nous, cela ne s’est jamais arrêté. Après Home, on avait enregistré D’une rive à l’autre pour un disque hommage à Jacno, puis j’avais fait des textes en italien aussi pour Coralie Clément (la sœur de Benjamin Biolay – ndlr). Je suis vraiment revenue sur scène aux côtés de Benjamin avec Palermo Hollywood. On a enregistré des reprises de chansons italiennes aussi l’année dernière, on ne sait pas ce qu’on va en faire. Ça me plaît beaucoup, nos voix ensemble. J’arrive à nous écouter en oubliant que c’est moi qui chante, voire en y prenant du plaisir. Sur scène, mon plaisir, c’est aussi qu’il soit au centre et qu’il m’emporte.
Quel rôle jouent vos enfants dans votre culture musicale ?
Chiara Mastroianni – J’adore quand mon fils trouve par lui-même quelque chose sur lequel j’ai trippé, comme Lou Reed ou les Strokes. Je découvre aussi plein de trucs grâce à lui, comme PNL, les trucs de hip-hop dont on parlait.
Benjamin Biolay – Les Strokes ont tué tout le monde dans leur génération. Je me souviens de la tête de Milo, son fils, la première fois qu’il a entendu Human Sadness de Julian Casablancas avec The Voidz. Je pensais qu’il allait décrocher, un morceau avec un pont hardcore et une guitare avec un effet de tronçonneuse… Et ça l’a tué.
Volver est aussi un disque qui parle beaucoup d’amour. Avez-vous la sensation de le vivre et de l’écrire différemment aujourd’hui, à 40 ans, qu’à 20 ans ?
Benjamin Biolay – Pas les sentiments mais la façon de les vivre, oui. C’est sûr que ça influence mon écriture, ma façon de chanter.
Chiara Mastroianni – Pour moi, c’est plus facile maintenant de chanter des chansons d’amour ensemble que lorsqu’on était vraiment ensemble. Il y avait une chanson de Home que je ne voulais pas faire sur scène. C’était trop triste, comme une couleur qui ne passait pas avec le temps.
Chiara, écoutes-tu ce que fait Benjamin quand tu sors de studio ?
Benjamin Biolay – Oui, on passe pas mal de temps ensemble, donc elle entend mes nouveaux morceaux, elle suit la construction de mes disques.
Chiara Mastroianni – Quand il commence à faire des listes pour trouver dans quel ordre il va mettre les morceaux sur le disque, c’est Jack Nicholson dans Shining. T’en prends pour quinze jours !
Chiara, il y a une mise à nu plus grande quand tu chantes que quand tu endosses un rôle au cinéma ?
Chiara Mastroianni – Non. Le plus difficile, le plus intime, c’est en studio. Tu peux vraiment être bouleversée par un texte, une émotion. Sur scène, tu dois tenir compte des autres, te tenir. Même si je reste maladroite, je ne sais pas danser par exemple…
Benjamin Biolay – Pfff, “je sais pas danser”… Tu verrais Julien Clerc, les saltos qu’il fait ! Chiara n’a jamais chanté avec quelqu’un d’autre que moi, c’est peut-être pour ça qu’elle ne se rend pas compte de sa relative aisance…
Tu n’as jamais eu envie de chanter seule ?
Chiara Mastroianni – Les trucs seule, ça ne m’amuse pas dans le travail. J’ai besoin qu’il y ait des gens. Les autres me stimulent, me rassurent.
As-tu la sensation que la façon de chanter de Benjamin a changé quand il a commencé à faire du cinéma ?
Chiara Mastroianni – Non. Je pense que sa façon d’être sur scène a commencé à changer avant. Entre le Casino de Paris en première partie de Souchon (en 2001 – ndlr) et Trash Yéyé (2007), ce n’était plus du tout le même personnage que l’on voyait sur scène. J’ai eu vraiment un choc sur la tournée de La Superbe (2009). Tout à coup, il y avait quelque chose de complètement assumé. Il se traînait à genoux sur des titres comme A l’origine…
Benjamin Biolay – Parce que cela faisait sens. Pendant longtemps, la musique ne rendait pas comme je voulais, cela me bloquait. Et puis je me suis habitué à ce que l’on m’observe. Tu te rends compte que les gens te regardent beaucoup pendant le premier quart d’heure, et puis ça passe. J’ai renoué aussi avec une façon d’être que j’avais plus jeune. A mes débuts, je faisais des bonds sur scène. Puis quand j’ai sorti Rose Kennedy, je me suis retrouvé dans une petite case et je n’ai plus voulu en bouger pour ne pas déranger les gens. Le repli sur soi est logique, je crois. L’attitude sur scène aujourd’hui dépend aussi de ce que je ressens du public. Certains soirs, je sens qu’ils ont envie de voir un homme un peu mystérieux derrière un piano. D’autres soirs c’est plus dansé, joyeux.
Chiara, Benjamin t’a consulté pour ses rôles au cinéma ?
Chiara Mastroianni – Jamais. Mais je pense qu’être un acteur n’est pas un truc étranger à Benjamin. J’étais juste surprise qu’il en ait envie.
Benjamin Biolay – Je l’ai pris comme un super bonus dans la vie. Tu prends un café avec Sylvie Verheyde et ta vie change. Je me suis dit que je n’avais pas le droit de passer à côté.
Chiara Mastroianni – C’est drôle, tu dis ça comme s’il n’y avait pas la musique…
Vous vous souvenez du premier film que vous avez vu ensemble ?
Chiara Mastroianni – On a dû se mettre un truc en vidéo pour trouver un prétexte pour s’embrasser. En général c’est ça, non ? Tu vas voir un film d’horreur ou un pas trop bien… Je ne sais plus ce que c’était. On a dû faire autre chose.
Benjamin Biolay – On allait vachement à Vidéosphère, le vidéoclub génial près du jardin du Luxembourg. Mais Chiara est beaucoup plus cinéphile que moi ! On est des gros consommateurs. Quand on part en week-end ensemble, c’est au moins deux films par soir.
Pour ce titre avec Catherine Deneuve, sur Volver, comment ça s’est passé ?
Benjamin Biolay – Mon idée de départ était de sampler un dialogue de La Chamade (Alain Cavalier, 1968), j’adore le ton qu’elle a dans ce film. Et finalement, je me suis dit que j’allais l’écrire mais trouver un moyen de restituer le son mono de l’époque.
Chiara Mastroianni – Benjamin m’a appelée un jour en me disant “Enregistre ta mère sur son téléphone portable, fais-lui faire une voix témoin”. On s’est assises sur le canapé, chez ma mère, super détendues. On l’a fait deux fois, elle me disait que c’était suffisant pour une voix témoin. Et en fait, c’est cette voix qu’il a gardée !
Benjamin Biolay – Catherine est plus branchée que moi. Elle lit des magazines et fait des listes puis elle me demande “Benjamin, vous connaissez ?” Elle écoute des trucs avec ses petits-enfants aussi. Elle a une curiosité admirable.
En parlant de curiosité, Chiara, tu as vite adhéré à cette aventure argentine de Benjamin ?
Chiara Mastroianni – Je trouvais ça génial qu’il aille à la rencontre de gens nouveaux, de nouveaux instruments. Et j’ai confiance en lui. Parce que quand t’entends qu’il va y avoir du bandonéon, tu peux te dire ouh la la… (rires) J’ai trouvé aussi qu’il y avait quelque chose de décomplexé, du fait de la distance et de ce pays dans lequel il se sent particulièrement bien.
Il a des phases, Benjamin, des passions fugaces ?
Chiara Mastroianni – Non. Depuis que c’est l’Argentine, c’est toujours l’Argentine. Et avant, je ne me souviens pas lui avoir connu de lubies. Ce sont plus comme des éléments qui arrivent et qui restent. Des strates.
Il y a beaucoup d’autres chanteuses sur cet album. Cela ne t’agace pas quand il en fait chanter d’autres ?
Chiara Mastroianni – Non, parce que c’est moi qui ai les meilleures chansons ! Et puis, c’est comme quand je vois un film qui me plaît, je ne me dis pas “Ah mais mince, j’aurais préféré le jouer !” Par contre, il ne veut pas que j’aille chanter ailleurs (rires).
Et toi, Benjamin, tu portes quel regard sur la carrière d’actrice de Chiara ?
Benjamin Biolay – J’ai toujours du mal à percuter, c’est bizarre de voir quelqu’un que tu connais dans un film. Mais il y a toujours un moment où je me fais embarquer, et je trouve ça très admirable, la créativité que ça demande… Maintenant que j’ai fait du cinéma moi-même, j’en suis d’autant plus conscient. Chiara, c’est une de mes actrices préférées… Je ne comprends pas le complexe de l’interprète…
Chiara Mastroianni – Si, on est forcément tributaire de quelqu’un, toi tu n’as besoin de personne pour écrire tes chansons… Un film, c’est comme un état amoureux, même physiquement on change, et quand c’est terminé, c’est un choc.
Benjamin Biolay – C’est vrai qu’il y a un vide, pourtant j’ai souvent des choses à faire dans la foulée… Par exemple, j’ai fini le dernier film d’Emmanuel Finkiel, et à la fin ça m’a mis un coup, c’est comme la fin d’une aventure collective… C’est toujours les films qui m’ont donné le sentiment d’un groupe humain fort que j’ai trouvés les meilleurs.
Le côté collectif, c’est important pour vous ?
Chiara Mastroianni – Je ne peux pas rester dans ma loge sur un tournage, j’ai besoin de rencontrer des gens.
Benjamin Biolay – Moi aussi, je me balade sans arrêt
Chiara Mastroianni – Il y a une dimension collégiale. J’ai toujours aimé les plateaux, même avant de jouer, quand je vois les camions je suis hypercontente.
Benjamin Biolay – Moi aussi, une rue ventousée pour un film, ça me rend dingue. (rires)
Et la vie de tournée, Chiara, ça te plaît ?
Chiara Mastroianni – Oui, j’adore ça !
Benjamin Biolay – Elle aurait rêvé d’avoir un camping-car, je crois.
Chiara Mastroianni – Petite, je rêvais que mon père m’emmèneen vacances en roulotte. J’adorais les compartiments de train aussi, j’ai toujours aimé l’idée d’être véhiculée en dormant. J’adore aussi en tournée quand tout le monde se retrouve dans le tourbus après le concert.
On parle un peu politique ?
Benjamin Biolay – Ah non, moi, j’en parle jamais ! (rires)
Chiara Mastroianni – Je pense que l’engagement politique des gens connus, c’est compliqué. Les gens qui votent se disent qu’ils viennent d’un autre monde. Quand un totem comme Zidane se prononce, c’est important je trouve, mais le reste… L’engagement, c’est autre chose, c’est faire des choses, faire des films ou écrire des textes engagés…
Benjamin Biolay – Il y a plein de gens qui ne se sont pas prononcés lors de cette élection, des gens très gentils pourtant (rires)… L’engagement des artistes, je ne sais pas, j’ai soutenu Hollande en 2012, c’était à la fois instinctif et naïf… Mais quand je regarde bien, l’un de mes héros, c’est Morrissey, c’est un des rares mecs dont j’ai mis une photo chez moi, et ça ne m’empêche pas de manger des steaks comme un salaud (rires). Pourtant, Dieu sait que j’adore Meat Is Murder…
Chiara Mastroianni – Il est végétarien ?
Oui, et abstinent…
Chiara Mastroianni – Abstinent ! Ah ben voilà, tu aurais dû commencer par là ! Mais pour toi, c’est trop tard maintenant. (rires)
Benjamin Biolay – Et en plus, Morrissey, politiquement, il a toujours dit de la merde, mais ça ne m’empêche pas d’aimer ses disques…
album Volver (Barclay)
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