Le directeur de l’Institut Jacques Delors, Yves Bertoncini, également président du Mouvement Européen-France, analyse les conséquences de la victoire d’Emmanuel Macron sur l’avenir de l’Europe et la façon dont le nouveau président pourrait se positionner dans l’Union européenne.
Quelles seront les conséquences de l’élection d’Emmanuel Macron sur l’Europe ?
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Yves Bertoncini – Le principal enseignement de cette élection est que, même si les Français sont plutôt eurosceptiques, ils ne sont quand même pas europhobes. Ils ne détestent pas suffisamment l’Europe pour élire quelqu’un qui veut la quitter et sortir de l’euro. Pendant la campagne, on a beaucoup parlé d’Europe. C’est l’un des sujets sur lesquels Marine Le Pen s’est cassé les dents : elle a dû rétropédaler sur la sortie de l’euro. Après le Brexit, on nous a raconté que l’Europe allait mourir. Or, on voit maintenant qu’un pays comme la France est peuplé de concitoyens qui, certes, aiment moins l’Europe, mais ne sont pas europhobes. C’est quand même un coup d’arrêt à cette rengaine même s’il faut rester prudent, car le score de Marine Le Pen est énorme (34,5%).
J’œuvrerai à retisser le lien entre l’Europe et les peuples qui la forment, entre l’Europe et ses citoyens.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 7, 2017
Les Français restent-ils eurosceptiques ?
Oui. Quand on regarde les votes au 1er tour, on voit bien qu’ils expriment une forme de déception liée notamment à une Europe où il y a une concurrence sociale assez vive. La campagne a été le théâtre de beaucoup de débats sur l’usine Whirlpool, les délocalisations, les normes européennes… Donc ça ne va pas être une partie de plaisir pour Macron. Pour vaincre cet euroscepticisme, il faudra plus qu’une victoire à l’élection présidentielle contre Marine Le Pen. Certes, il a des projets positifs sur la zone euro, la mobilité, la sécurité… Mais la seule chose dont on peut être sûr, c’est que l’europhobie est terrassée en France.
L’Europe a été un des enjeux-clés de cette élection. Pensez-vous qu’elle est devenue l’un des piliers d’un nouveau clivage politique entre libéraux et souverainistes plutôt que gauche/droite ?
C’est en effet un clivage mais je ne pense pas qu’il dépasse l’opposition gauche/droite. Il n’est pas nouveau : ce clivage était déjà visible en 2005. Macron essaie d’incarner le patriotisme contre le nationalisme, comme disait Romain Gary : « Le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme c’est la haine des autres. » Je crois qu’on était dans un clivage de cette nature-là.
Comment cette victoire est-elle accueillie dans l’Union ?
Les Européens voulaient être rassurés sur le fait que la France n’allait pas tourner le dos à 60 ans d’une construction européenne dont elle est la fondatrice. Je pense qu’ils voient dans la victoire d’Emmanuel Macron la rupture avec une certaine forme de franco-scepticisme, cette idée que la France peut élire quelqu’un d’optimiste, qui dit « on va y arriver », à l’image du Yes We Can d’Obama et du Wir Schaffen Das de Merkel sur la crise des réfugiés. Il y a un message de confiance que les Européens aiment entendre.
Quelle image Emmanuel Macron renvoie-t-il à Bruxelles ?
Il est perçu comme un espoir. Comme quelqu’un capable de mettre la France en ordre et de prendre les bonnes décisions. Cela ne veut pas dire copier l’Allemagne ou le Danemark mais prendre les décisions pour que la France sorte de cette spirale de dépression collective.
Aura-t-il la légitimité pour redresser l’Union européenne ?
Oui, à condition qu’il prenne d’abord des décisions pour que la France aille mieux. Il faut avant cela qu’il obtienne une majorité aux législatives et ce n’est pas la moindre des choses. Mais l’enjeu essentiel est que, aux yeux de ses partenaires, il ait engagé des décisions à l’échelle nationale qui produisent des résultats : un chômage qui baisse, une croissance un peu meilleure et un budget tenu : les Français sont les seuls à ne pas être capables de tenir l’objectif des 3 % de déficit ! Ces réformes, quelles qu’elles soient, sont la condition de sa légitimité.
Quels seront les alliés de Macron dans l’UE ?
Je pense que la politique européenne du nouveau président sera de l’ordre du changement dans la continuité. Par définition, au niveau européen, il faut des alliés et donc il ne peut pas y avoir une rupture nette. S’il arrive à réformer la France, ça lui donnera un peu plus d’influence. Le fait qu’il soit jeune et nouveau lui donne aussi un petit crédit. Mais tout se jouera sur les alliances.
Sur les alliances diplomatiques, c’est l’Allemagne. Il a eu des mots assez forts : « je ne suis pas face à l’Allemagne, je suis avec Berlin« . François Hollande et Nicolas Sarkozy avaient été plus ambigus. Lui, c’est clair : c’est la relation franco-allemande. Essayer, avec l’Allemagne, de réformer la zone euro, de faire plus en matière de sécurité collective…
Il a quand même dit une chose intéressante, c’est que son premier déplacement à l’étranger se fera auprès des troupes françaises engagées sur le terrain et non pas à Berlin. C’est très subtil : il ne faut pas qu’il laisse penser qu’il veut réformer la France pour faire plaisir à Berlin.
Concernant les alliances partisanes, cela reste à clarifier. Il y a eu des informations que ses partisans iraient au groupe des libéraux, où siège notamment une de ses soutiens, Sylvie Goulard, et non chez les sociaux-démocrates.
En résumé, quelle vision de l’Europe porte Emmanuel Macron ?
Ça peut paraît surprenant mais je pense que c’est l’Europe « subsidiaire » : elle ne crée par les problèmes français et donc les solutions doivent venir de France. Emmanuel Macron est europhile dans le sens où il ne blâme pas l’Europe. Il porte un message d’espoir : ce n’est l’Europe « bouc émissaire ». Mais si pour Macron l’Europe est subsidiaire, ça ne veut pas dire qu’elle est secondaire. L’union, c’est la force et donc il faut que la France soit pleinement engagée sur l’Europe, notamment sur les questions de sécurité. Et il promeut aussi l’Europe comme une opportunité, quand il propose que 200 000 Français bénéficient du programme d’échange Erasmus tous les ans.
Propos recueillis par Elise Koutnouyan
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