La première saison de « Sense8 », pilotée de bout en bout par les soeurs Wachowski (« Matrix »), avait entrepris de conjuguer humanisme et science-fiction dans un mille-feuille branché à mille volts sur les pulsations du monde contemporain. Sa deuxième volée d’épisodes est parfois confuse mais toujours aussi généreuse et vivifiante.
Au beau milieu d’un temple désaffecté, une femme blonde à l’allure de vagabonde toxicomane met fin à ses jours d’une balle dans la tête. Immédiatement, huit individus répartis à travers le monde se retrouvent connectés par la pensée et les émotions, capables d’intervenir dans leurs réalités mutuelles. Recherchés par une mystérieuse organisation, ils tentent de démêler les fils de ce nouvel être multiple tout en gérant les conflits de leurs vies respectives.
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Sur ce canevas à-priori classique de science-fiction, les Wachowski ont tissé une toile narrative foisonnante propice aux audaces formelles les plus folles et au traitement de thématiques aussi précieuses et variées que la sexualité, le genre, l’identité ou la religion. Si la première saison était placée sous le signe de la confusion et du mystère, la seconde, dirigée en solo par Lana Wachowski, entrechoque plus violemment les forces en présence.
« You think you’re hunting us ? We’re coming for you« , sussure le policier Will Gorski au sinistre Whispers au début de cette nouvelle fournée. Traqués dans la saison 1, nos héros se libèrent des carcans qui les enchaînent et unissent cette fois leurs forces pour contre-attaquer. Nomi enquête sur l’identité de Whispers avec l’aide des visions de Will, Sun prépare son évasion, Kala affirme son indépendance… L’occasion de remonter à contre-courant les tentacules des forces obscures dans un cocktail haletant, badass et furieusement addictif. Cinq raisons de ne pas bouder ce plaisir.
Pour ses scènes d’action époustouflantes
Si les Wachowski renoncent ici à la virtuosité plastique des combats de Matrix au profit de scènes d’action plus nerveuses, l’inventivité de leur traitement est toujours au rendez-vous. Le chauffeur de bus Capheus est confronté à des gangsters assoiffés de sang ? L’experte en arts martiaux Sun prend le contrôle de son corps pour leur filer une bonne rouste. Et quand le volubile Lito fait face à l’ex violent de son amie, le taiseux Wolfgang vient jouer des poings à ses côtés. Cette dynamique de partage des compétences et d’interchangeabilité des corps, inspirée des jeux vidéos, fait tout le sel de Sense8, et électrise encore le premier épisode de la saison 2 en un final pétaradant sur un parking enneigé.
Pour sa célébration débridée et jouissive de toutes les formes d’amour
https://youtu.be/Y9f7ymhg3mo
Si Sense8 est irriguée par la violence, elle brille aussi par son approche décomplexée et surprenante des sexualités, cristallisée dans le formidable climax de l’épisode 8 de sa première saison. Alors que les personnages vaquent à leurs occupations, un plan à trois entre Lito, son amant et leur amie Daniela, et une étreinte entre Nomi et son amante se chevauchent et troublent les autres sensitifs, qui s’invitent dans la danse torride. Des toits de Mexico à un hammam berlinois, les corps s’interchangent et s’entremêlent en un feu d’artifice érotique à la jouissance sans borne, auquel la première scène de la seconde saison fait écho, annonçant d’autres savoureuses envolées. Lito y tentera d’assumer son coming out, Kala de dissimuler tant bien que mal à son mari sa relation adultère psychique avec Wolfgang, quand Will et Riley goûtent au plaisir des étreintes réelles.
Pour ses thématiques hyper-contemporaines
https://youtu.be/f6OHCDdlFYo
A l’instar de Matrix, qui avait saisi en 1999 avec une précision inouïe l’irruption du numérique dans le monde contemporain, Sense8 retranscrit la dynamique et les flux de notre XXIe siècle globalisé dans la chair et l’esprit même de ses personnages. L’immédiateté de l’information, la simultanéité des réactions et la prolifération des échanges à travers la planète s’incarnent concrètement dans les péripéties des sensitifs, dont les parcours individuels soulèvent également leur lot d’enjeux politiques. De la condition féminine en Inde à l’homophobie ordinaire, de l’affirmation trans aux dérives sordides du monde des affaires, la série devient un kaléidoscope des luttes et espoirs de notre temps. Sa saison 2, qui voit l’émergence d’un nouveau groupe de sensitifs piloté par l’ennemi, y adjoint les thématiques de la manipulation génétique et du contrôle des individus.
Pour son éloge de la différence
Un conducteur de bus kenyan fan de Jean-Claude Van Damme, un acteur de télénovela mexicain homosexuel, une hackeuse trans ou une championne de kickboxing coréenne… Les profils s’entrechoquent et se chevauchent, puisant dans le collectif et les capacités de chacun la force de surmonter leurs épreuves personnelles et d’affirmer leurs singularités au monde. Loin de la figure de l’homme blanc hétérosexuel de 30-50 ans qui domine la production télévisuelle, la diversité sexuelle, religieuse et culturelle des protagonistes de Sense8 est précieuse. Elle infuse également la mise en scène de leurs aventures, qui se risque à alterner sitcom et polar berlinois, science-fiction et danses bollywoodiennes, et multiplie dans ses nouveaux épisodes les séquences clipesques dans une euphorie visuelle et sonore.
Pour sa foi inébranlable dans l’humain et le collectif
Certains reprocheront à la série une accumulation vorace de bons sentiments, sous-tendue par des envolées au lyrisme frôlant le kitsch. Plutôt que de conclure à la naïveté de l’objet, il faut y voir un système de valeurs certes schématique mais profondément humaniste qui en irrigue chaque repli, lui conférant la dimension d’antidote parfait au cynisme défaitiste qui ronge notre époque. Le collectif, malgré sa complexité, y triomphe toujours face à l’individualisme monolithique, et l’adjonction des différences et des contraires ne plonge pas l’humain vers l’abîme mais l’élève à un niveau supérieur. Et lorsque cet optimisme déteint, même un peu, sur le spectateur, le pari est remporté haut la main.
Sense8 saison 2, disponible le 5 mai 2017 sur Netflix.
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