Une nouvelle réédition, doublée d’une bio qui lui est consacrée : mais d’où vient cette obsession récente pour ce bon vieux Stefan ?
Au compteur des publications posthumes sorties de la hotte des éditeurs, Stefan Zweig tient une bonne place. Prisé par les lycéens (le principe de la nouvelle “pas prise de tête”), facile à offrir (qui s’est déjà plaint d’avoir reçu en cadeau La Confusion des sentiments ?), l’oeuvre de l’écrivain autrichien est plus que jamais en vogue.
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Pour s’en convaincre, il suffit de podcaster sur le site de France Inter la voix embuée d’Elsa Zylberstein – qui avait signé l’intro de la réédition de Lettre d’une inconnue (Stock) – évoquant Les Derniers Jours de Stefan Zweig, le roman de Laurent Seksik.
Zweig, auteur de ces dames ? C’est fréquemment qu’on évoque le versant “féminin” de l’oeuvre : ses passions cachées, ses voluptés secrètes, ses héroïnes brûlant d’un feu intérieur. Explorateur du subconscient et de l’intime, qui donne à ses nouvelles leur côté indémodable, Zweig est un objet de culte pour les amateurs de destins tragiques amarrés à l’histoire. Celui de cet écrivain juif rayonnant dans l’Europe des années 20 et 30, avant de fuir le nazisme (en Angleterre puis au Brésil), a alimenté les imaginaires mais a longtemps vu sa conversion en biographie retardée.
C’est chose faite avec l’hagiographie que lui consacre Dominique Bona – assortie de la réédition du seul roman achevé de Zweig (La Pitié dangereuse). La biographe (qui a déjà écrit sur Clara Malraux, Paul et Camille Claudel, Romain Gary) stigmatise la vie de ce “grand bourgeois à l’allure élégante et compassée”.
On finit par se demander si l’exhumation un par un de tous de nos écrivains Lagarde et Michard n’accuse pas une nostalgie un peu rance pour ces merveilleux “archétypes d’une civilisation disparue” : Virginia Woolf et ses crises de folie (qui à elle seule génère trois biographies par an), Genet (ce sera bientôt le centenaire de sa naissance) et le parfum de perversion vintage qui colle à son oeuvre, etc.
Chez l’auteur d’Amok et de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, la fascination porte sur un héroïsme à deux branches : d’un côté, le double suicide de l’écrivain et son épouse, en 1942 ; de l’autre, son dandysme Mitteleuropa, aux manières distantes et raffinées. Derrière ce cocktail qui fait mouche (le fantasme d’absolu, allié au style vieille Autriche), dégainé par les éditeurs avant l’été, traîne cette idée délétère selon laquelle les grandes valeurs et les grands écrivains appartiennent au passé. Une conception de la littérature certes mercantile, mais aussi, passéiste et surplombante.
Stefan Zweig de Dominique Bona (Grasset), 463 pages, 20,90 €
La Pitié dangereuse de Stefan Zweig (Grasset), 457 pages, 20 €
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