Pour suivre les résultats de la présidentielle, plusieurs centaines de personnes issues du black bloc, des mouvements anarchistes, antifascistes ou de Nuit Debout se sont rassemblées au parc de la Villette, dimanche dès 15 h, pour « préparer la suite ».
C’est comme s’il n’y avait rien eu. Thomas* envoie le ballon à son pote, qui rigole et fait une tête. Les résultats viennent de tomber, mais ils s’en fichent royalement. Après 10 minutes, quand même, Thomas jette un coup d’œil à son portable, qui n’arrête pas de sonner à cause de toutes les notifications qu’il reçoit. Ça y est, Macron vient d’être élu président de la République à plus de 65 % des voix. « Ouais, c’est Macron qui a gagné. Bon, on continue le foot ? » lance-t-il à son acolyte, à peine plus ravi ou choqué que ça. À côté des footeux, c’est la même indifférence : la quarantaine de personnes rassemblées sur la pelouse du parc de la Villette montrent tous une absence totale de réaction. « C’était bien ton week-end ? » entend-on par-ci ; « Tu bosses demain ? » demande-t-on par-là. Les conversations anodines du dimanche reprennent normalement. Macron vient d’être élu, et pas un « hourra », ni un « bouh ». Pas de huées, rien.
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20 h, fin de partie
C’est à peine s’ils parlent des résultats : « En fait, on s’en fout vraiment de qui a gagné, on était juste là pour pas s’emmerder toute la journée », précise Michel*, un des étudiants qui organise cet événement nommé « On fait quoi alors ? » Le petit groupe est installé sur la pelouse verte du parc de la Villette, devant le jeu pour enfants en forme de Dragon géant. Une image qui aurait pu être tout à fait normale. Sauf qu’une trentaine de CRS les encerclent. Les jeunes ont l’interdiction formelle de sortir de ce périmètre : « Ils attendent qu’on casse tout car Macron a gagné. Mais ils n’ont rien compris au message de cette journée, c’était festif », se désole Michel, en regardant les policiers en face. Près de lui, les pancartes en cartons qui ont rythmé les jeux de cet après-midi sont déjà tous en ruine.
Si les forces de l’ordre les encerclent, c’est que la plupart des personnes présentes sur la pelouse sont des militants de l’ultra gauche libertaire, des anarchistes, des antifascistes, des Insoumis, des anciens de Nuit Debout et, surtout, des membres du black bloc, le cortège de tête dans de nombreuses manifestations. La plupart ont appelé à l’abstention, à voter blanc, et à organiser des actions directes dans les prochains jours. Mais les policiers attendent qu’ils « dérapent ». Il n’est que 20 heures passé et ils ne sont plus qu’une petite quarantaine à être toujours rassemblés devant les policiers. En les voyant arriver, beaucoup ont pris la fuite pour éviter les fouilles, afin de rejoindre les manifestations qu’ils ont prévues dans « des petites places », précise l’un des militants. « Ils cherchent des personnes bien précises, surtout des militants fichés S je pense, pour empêcher qu’ils rejoignent les cortèges », précise-t-il, en ajoutant : « Franchement, ça me dégoûte que la soirée se termine comme ça. »
« Vise bien la tête de Le Pen ! »
Dire qu’il y a encore une heure, tout le monde jouait au chamboule-tout revisité avec les têtes de Macron ou de Le Pen, mangeait du taboulé à la « cantine » éphémère, jouait de la guitare, mettait un vote « abstentionniste » dans l’urne en carton préparée spécialement ou discutait simplement avec les autres. C’était ça, l’ambiance depuis 15 heures, au début du rassemblement organisé par le mouvement « Ni Le Pen, Ni Macron ». L’idée : faire rencontrer et débattre autant les militants que les électeurs moins actifs, pour organiser les prochaines luttes. « Peu importe que Macron soit le vainqueur, on est là pour dire que l’action continue même après les résultats », explique Xavier*, un étudiant en gestion de l’environnement, qui tracte pour le mouvement « Boycotte 2017 », qui appelle notamment à l’abstention et à l’action après le second tour.
Et ça marche : beaucoup de passants, qui venaient faire leur jogging du jour ou la sortie au parc en famille, s’arrêtent devant le petit attroupement devant leurs stands et leurs pancartes de fortune. Malgré la pluie, il y a toujours une foule au parc de la Villette, et pour les attirer encore plus dans leur cause, les organisateurs ont tout prévu : de la nourriture à prix libre, des jeux pour les gamins… Mais ce qui plaît le plus aux jeunes, c’est de prendre un ballon et de « casser la gueule à Marine Le Pen et Macron », comme le crie un garçon, au chamboule-tout.
« Vas-y, mets-lui le ballon dans la glotte ! », propose-t-il à son copain, qui vise en plein dans le mille. « Elle, je veux la casser ! » indique un autre à côté, qui cible le carton avec la tête de Marine Le Pen, tellement défoncé qu’il est rescotché à chaque fois. « En fait, y’a pas vraiment de règles, rigole Stéphane*, qui a créé le jeu parodiquement intitulé « Le Jeu du FN ». A chaque fois, la police refuse qu’on se rassemble, donc on a fait cet événement de manière plus festive, pour montrer qu’on peut avoir des idées radicales mais qu’on peut aussi se retrouver et discuter d’un futur ensemble », ajoute-t-il, en renvoyant les balles perdues aux jeunes. Pas de règles, mais viser Le Pen vaut 10 points, Macron 5 points, et Valls 3 points. « C’est quand même elle la plus dangereuse », reconnaît-il, avant d’être interrompu par un petit, qui lui lance en se marrant : « Pourquoi vous avez pas mis Jean Lassalle ? Il a un gros nez, ça aurait été plus facile de viser ! »
« On est gentils, aussi ! »
Pendant tout l’après-midi, la bonne ambiance est là, les personnes forment des cercles par terre pour discuter de tout et de rien, et très peu de politique. C’est une réunion entre potes et pour faire de nouvelles rencontres. Certains ont amené leurs instruments de musique, d’autres des cerceaux et des massues pour jongler. « J’ai dessiné la manif du premier mai, indique une jeune qui anime un atelier de dessin sauvage, en montrant son dessin. La grosse tête, ça représente l’État ou les policiers, et elle nous bouffe nous, les militants. »
Pour elle, l’art est une autre manière d’agir : « On fait des actions différentes, on est cagoulés en manif mais on n’est pas que dans la violence. On ne nous attend pas dans des actions comme ça, plus gentilles… Bon, ça ne veut pas dire qu’on va devenir plus gentils ! » s’amuse-t-elle en collant son œuvre sur une pancarte. C’est comme une mini kermesse, les bières en plus. « Il y a plein de gens que je ne connais pas, ça veut dire que notre message passe », se félicite Stéphane, qui voulait que cette journée rassemble tout le monde. C’est clair qu’on est bien loin de l’image du casseur avec un pavé dans la main.
Le black bloc à la conquête d’une nouvelle image…
Pourtant, pas facile de convaincre tout le monde. « Bonjour monsieur, tenez ! » tente d’interpeller Xavier à un passant, en lui tendant un tract. « Non merci, je ne suis pas d’accord avec ce que vous faites », lui répond le vieil homme, en déclinant la fiche. La « lutte après les urnes » ne plaît pas forcément, même avec tous les jeux censés les convaincre : « Ils font flipper », indique un passant, « de toute façon la lutte ne sert plus à rien, Macron est élu », explique un autre, alors que pour certains parents les idées prônées par l’événement sont trop fortes : « La violence ne changera rien ! Ils cassent tout, ça n’amène à aucun débat ! » Et les premiers visés par les critiques sont les membres du black bloc, même si toutes les personnes présentes sur la pelouse n’en font pas partie.
« Je suis dans le cortège de tête, c’est clair qu’on essaye de racheter l’image du black bloc. On fait de l’action directe, mais aussi des groupes de discussions comme aujourd’hui, par exemple, c’est ça qu’on veut montrer. Je suis peut-être fiché S, j’en sais rien, mais moi j’ai jamais fait de garde à vue. Faut bien leur redire tout ça », précise un militant assis devant l’affiche « Boycotte 2017 ». Du côté de la cantine éphémère, créée spécialement pour la journée avec des aliments récupérés, on essaye de rassembler malgré le public pas toujours réceptif : « Tenez, on a du taboulé au poivrons, du caviar d’aubergine…Vous voulez du pain maison avec ? » propose Pierre, un étudiant de 22 ans qui tient le stand, à une vieille dame qui passe par hasard. Avant qu’elle ne parte, il lui glisse un « Vous savez, la lutte continue même après la victoire de Macron ! » Mais rien à faire : « C’est sympa ce genre de journée, mais je suis déjà allée voter. Et puis ils font un peu peur quand même tout en noir », indique-t-elle tout bas, après avoir récupéré son assiette en plastique. « C’est quand même bien de dire qu’on n’est pas satisfaits de la victoire de Macron, mais être dans l’extrême ce n’est jamais bon », avoue-t-elle quand même.
S’ils sont toujours bloqués par les CRS, les militants sont pourtant unanimes : demain, ils reprendront la lutte.
*Les prénoms ont été modifiés
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