Deuxième production du studio Giant Sparrow, « What Remains of Edith Finch » met le joueur dans la peau d’une adolescente de retour dans la grande maison de sa famille dont les membres ont, depuis des décennies, tendance à mourir dans des circonstances étranges. C’est un éblouissement.
Un jour, sur sa balançoire accrochée à une branche d’arbre en haut de la falaise, le petit garçon poussa si fort avec ses jambes qu’il s’envola. Ainsi disparut Calvin (1950-1961), comprend Edith, 17 ans, de retour dans la grande demeure familiale après la mort de sa mère. Cette maison est un incroyable labyrinthe que la jeune fille explore pièce par pièce, de chambre en chambre, de tunnels en passages secrets, rampant, escaladant. Ce faisant, c’est aussi d’une branche à l’autre de son arbre généalogique qu’elle voyage, celui d’une famille « maudite » qui a connu bien des morts étranges au fil des décennies. Sans doute vaudrait-il mieux ne pas trop entrer dans les détails pour ne pas gâcher l’expérience que propose What Remains of Edith Finch, mais il serait dommage de taire toutes ces choses qui font la grandeur du jeu. Alors attention : spoilers, au moins un peu.
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Un jeu qui serre la gorge, et qui mouille les yeux
What Remains of Edith Finch est le nouveau titre du studio californien GiantSparrow, repéré en 2012 avec le déjà très beau The Unfinished Swan mais dont la nouvelle création est infiniment plus ambitieuse. Démarrant comme un « walking simulator » (une simulation de marche) dans la lignée de Gone Home (dont il reprend plus ou moins l’argument avec son adolescente de retour à la maison) et de Dear Esther (pour les passages en extérieur et la superbe voix off, en particulier), le jeu est aussi, accessoirement, la meilleure des réponses aux détracteurs de ce genre parfois jugé trop narratif et léger en interactions car, en termes d’idées ludiques, What Remains of Edith Finch se révèle d’une générosité renversante.
Vous y serez un chat, une chouette, un requin. Un bébé qui prend son bain et sa grenouille jouet qui fait des bonds dans l’eau. Un pilote de cerf-volant, une héroïne de BD (qui passe de case en case comme dans ce bon vieux Comix Zone), un photographe. Ou encore, et c’est peut-être le dispositif le plus stimulant du lot, un ouvrier à la chaîne qui laisse son esprit vagabonder et s’invente une existence de substitution héroïque et lumineuse, il arrive dans un village, est accueilli par des musiciens, acclamé par la foule… Et ces deux vies parallèles, la vraie et la rêvée, le joueur les prend en charge en même temps, une main (et un stick de la manette) pour chacune. Le corps, l’imaginaire, l’époque, le mythe et la manière dont tout ça se superpose, s’affronte ou se complète, voilà ce qui est au cœur de What Remains of Edith Finch, jeu subtil et superbe, et qui serre la gorge, et qui mouille les yeux.
Il y a du Tim Burton et du Wes Anderson dans son ironie
Sur la corde raide entre tragédie familiale et burlesque (les morts sont des chutes, autant dire des gags), entre théâtre d’ombres mystérieux et programme à suivre à la lettre (car chacun, ici, doit périr à la fin), What Remains of Edith Finch glisse et virevolte, regardant le pire en face et défiant la pesanteur. Il y a du Tim Burton et du Wes Anderson dans le tableau que forme sa collection de fragments d’Amérique et sa manière de faire coexister l’ironie et le sentiment. Il y a quelque chose de très vidéoludique, aussi, dans son approche de la mort et la mise en série de cette dernière – on pense aux Lemmings, on pense à Super Meat Boy, on pense à plein de trucs bizarres quand on joue à ça. En explorant cette bâtisse à l’architecture fantaisiste, corps assoupi aux multiples excroissances – une vue d’ensemble le confirme à la fin : elle ne ressemble à rien –, on voit aussi revenir à nous d’improbables flashes de Resident Evil VII et de quelques autres jeux d’horreur. Toutes les maisons familiales sont hantées, et celle de What Remains of Edith Finch peut-être encore plus que les autres.
Nous sommes donc Edith, 17 ans, qui se souvient d’une autre Edith, son aïeule. Nous sommes Edith et puis, un à un, tous les membres défunts de sa famille alors que s’ouvrent les pièces restées scellées pendant des années et que les objets et les lettres qui y furent laissées font revivre les morts à travers leurs sensations et leurs rêves. Nous sommes Edith et, soudain, sans savoir pourquoi, en marchant sur la plage éclairée par la lune, nous baissons les yeux et recevons un coup au cœur. Les développeurs de GiantSparrow avaient-ils prévus que l’on regarde vers le bas à ce moment-là ? On le croirait presque. Ils excellent en tout cas dans la direction du joueur (comme, au cinéma, on parle de direction d’acteur) pour nous entraîner là où ils le veulent tout en douceur. Alors, ce ne sont souvent pas seulement les choses que l’on voit mais aussi (surtout) celles que l’on fait, et leurs conséquences, qui sidèrent et émeuvent.
Faut-il croire à cette avalanche de morts, à cette sombre affaire de malédiction, ou tout cela ne serait-il pas le seul fruit de l’imagination de la jeune Edith, éventuellement complétée par la nôtre ? La question n’a pas lieu d’être, toutes les histoires sont vraies. What Remains of Edith Finch est une œuvre majeure et bouleversante, aussi riche qu’évocatrice et follement élégante. Au terme des deux ou trois heures nécessaires pour atteindre la fin du jeu, ce qu’il nous reste d’Edith Finch est terriblement précieux.
What Remains of Edith Finch (Giant Sparrow / Annapurna Interactive), sur PS4 et PC, environ 20 €
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