Alors que la satire politico-horrifique « Get out » de Jordan Peele est dans nos salles depuis mercredi dernier, nous nous sommes questionnés sur ce que nous révèle du monde le cinéma d’horreur. De la dépossession de l’homme par la société de consommation aux risques écologiques, retour sur quelques films d’horreur politiques fondateurs.
Sorti mercredi 3 mai, Get Out de Jordan Peele est un premier film explosif entre comédie cinglante et farce horrifique à la Carpenter sur le racisme anti-noir aux Etats-Unis, ce qui en fait une œuvre profondément politique et absolument nécessaire sous l’ère Trump. Car si le cinéma d’horreur révèle nos peurs et névroses les plus enfouis, il n’en est pas moins un révélateur éveillé des abus de nos sociétés contemporaines. En près de cinquante ans, comment le genre horrifique est-il donc devenu le lieu d’une critique politique toujours plus acerbe ? Réponse à travers quelques films fondateurs.
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L’homme dépossédé par la société de consommation
En 1968, George Romero bouleverse les codes de l’horreur et du film de zombies avec son premier long-métrage La nuit des morts vivants. Très mal reçu par une Amérique qui s’émancipe à peine de trois décennies de censure imposée par le code Hays, ce film fauché propose un nouvel imaginaire loin des légendes folkloriques vaudous et établie la mythologie du zombie moderne. Celui-ci devient un corps putréfié à l’apparence humaine, dépossédé d’absolument toute psychologisation -symbole limpide, en pleine guerre du Vietnam, d’une Amérique en proie à ses propres démons. Dix ans plus tard, la virulente critique politique du cinéaste prendra toute sa forme dans Zombie: les mort-vivants déambulent dans un centre commercial, avides de chair fraîche, ils errent en masse guidés par le manque et la faim et apparaissent comme la métaphore ultime de l’individu occidental aliéné par le dictat de la société de consommation.
Ondes hertziennes et paillettes
Traitée dès 1932 dans Freaks de Todd Browning et son monstrueux cirque, le thème de l’industrie du spectacle et sa critique trouve un nouveau pic dans les années 80 avec Videodrome de David Cronenberg. Sorti en 1983, le film interroge notre rapport aux médias en suggérant une manipulation du peuple par les élites avec l’utilisation de l’image télévisuel. La frontière entre réalité et télévision s’obscurcit jusqu’à ce que Max Renn, le personnage principal, entre littéralement dans l’image en enfonçant sa tête dans l’écran de sa télévision. L’homme et la machine ne forment désormais qu’un seul corps. On peut aussi citer l’exemple plus récent de The Neon Demon réalisé en 2016 par Nicolas Winding Refn, farce grotesque et morbide sur le monde de la mode et de la publicité. Le cinéaste dépeint dans un Los Angeles filmé presque intégralement de nuit, un monde glacé et sans âme. La peau trop parfaite de Elle Fanning devient une malédiction qui la dévorera (littéralement).
Individualisme, avidité et crise financière
Les années 80 constituent une décennie riche pour le cinéma d’horreur. De Evil Dead de Sam Raimi aux Griffes de la nuit de Wes Craven, le genre devient un laboratoire où s’essaye de nombreux cinéastes. Réalisé en 1982, The Thing de John Carpenter est certainement l’une des œuvres les plus marquantes et aboutie de cette décennie. L’intrigue se concentre sur une équipe de douze scientifiques américains basée dans une station de recherche en Antarctique. Après la découverte d’un cadavre enfoui sous la neige depuis plus de 100 000 ans, ils se retrouvent attaqués par une entité extra-terrestre protéiforme capable d’imiter toute forme de vie, aussi bien humaine qu’animale. Ils comprennent alors que la « chose » peut infecter n’importe qui. Les sentiments de doutes et de paranoïa envahissent les scientifiques qui se mettent à se suspecter les uns les autres. La peur de l’autre causée par cette menace insidieuse révèle petit à petit les failles du groupe et son impossibilité à perdurer. Wes Craven proposera une vision similaire de l’individualisme en mettant en scène en 1991 la face cachée d’une certaine classe bourgeoise prête à tout pour protéger son patrimoine et ses acquis dans Le Sous-sol de la peur.
En pleine crise financière, Sam Raimi dépeint, quant à lui, dans son conte horrifique moral Jusqu’en enfer (2009) une société régit par les banques qui encouragent l’égoïsme. Ces successifs constats nihilistes trouveront une solution simple mais pour le moins limpide dans la petite bombe zombiesque de Sang-Ho Yeon, Dernier train pour Busan (2016): la solidarité et l’entraide permettent la survie. C’est, en effet, grâce aux sacrifices des différents personnages que le duo féminin pourra être évacué de la catastrophe à la fin du film.
Les crimes originels de l’Amérique
Le cinéma d’horreur s’est à plusieurs reprises essayé à exposer le versant sombre du rêve américain. Dans Massacre à la tronçonneuse (1974), Tobe Hooper faire rejaillir la sauvagerie des pionniers américains, ancêtres sanguinaires d’une nation née d’un génocide. Autant snuff movie que critique sociale avec d’un côté une Amérique Flower Power et de l’autre la dégénérescence d’une famille de bouchers texans mis au chômage à cause de l’industrialisation du pays qui les oblige à stopper leur production. La transgression sociale et le cannibalisme devient alors la seule solution pour eux. Le Shining en 1980 de Stanley Kubrick pourrait aller dans ce sens si l’on suit les théories de certains spécialistes qui voit dans l’œuvre une allégorie du génocide indien (ces théories parfois farfeluessont d’ailleurs recueillies dans le passionant documentaire Room 237). Enfin The Witch (2015) de Robert Eggers en remontant aux origines des peurs fondamentales de l’occident, livre une critique du conservatisme dans une Amérique du 17ème siècle ultra puritaine.
La dictature de la technologie
De 2001: l’odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick à Terminator (1984) de James Cameron le conflit entre l’intelligence humaine et l’IA est une thématique matricielle de la SF mais bien plus rare dans le genre horrifique. En 2001, Kyoshi Kurosawa évoque dans son effrayant film de fantômes Kaïro, la dissolution du sujet dans une dictature technologique. Le film commence avec la découverte d’un jeune informaticien pendu dans son appartement. La victime a laissé pour mystérieux message une disquette contenant un virus qui contamine ses utilisateurs et provoque de graves répercussions sur leur comportement. Le virus se propage alors dans toute la ville.
Une pollution monstre
En plus d’explorer une grande palette de sujets politiques et sociaux (l’impérialisme américain et l’aveuglement des médias notamment), The Host (2006) de Bong Joon-Ho se révèle également comme une fable écologique passionnante. Issu d’une mutation génétique provoquée par le déversement de produits toxiques dans la rivière, un monstre amphibien et carnivore sème la mort dans Séoul. Le monstre devient ainsi la conséquence directe de la violence et de la sottise des États. A la fin du film, les dirigeants ne trouveront d’ailleurs rien de mieux que de lâcher un agent chimique jaune d’envergure pour désinfecter la ville. La boucle est bouclée…
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