Conseillé pour mieux digérer ce débat de l’entre-deux-tours affligeant, « Tout devient possible » fantasme le politique à grands coups d’imaginaire et de lyrisme.
« Refusons l’inévitable. Refusons l’inéluctable. Car la fatalité ne doit pas faire partie de notre vocabulaire. J’en appelle à toutes les personnes de bonne volonté. A chacun, voulant oeuvre au changement, à la construction d’un avenir dans lequel nous serons tous réunis« . Cette envolée oratoire s’échappe de la bouche d’un costard-cravate, le corps agité, ébloui par les spotlights et enivré par sa parole. Un discours passe-partout, qui pourrait être celui de n’importe quel homme politique. Cela tombe bien, c’est ce sentiment d’universalité que souhaite traduire le vidéaste Rémi Besse dans son court-métrage Tout devient possible. Une relecture du langage politicien, à mi-chemin entre peintures expressives et réel fantasmé.
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La politique, d’une réalité à l’autre
Tout devient possible. Le titre sonne comme un slogan sarkozyste. Pourtant, le protagoniste n’a rien du républicain bling-bling : c’est un simple conseiller en communication, chargé de rédiger le discours crucial d’un « candidat mystère » en vue des élections imminentes. En quête du bon mot, l’homme de l’ombre s’exile sur une scène de meeting déserté puis sombre peu à peu dans un vertigineux delirium. Enfant de la pub (il a signé des spots pour Nike et Posca) à la fois peintre et vidéaste, Rémi Besse entremêle prise de vue réelle et séquences de peinture animée dans ce bad trip à l’esthétique léchée. Comme si l’homo politicus naviguait entre deux mondes, oscillant par le simple cheminement de son discours d’une réalité à l’autre. Quoi de plus logique à l’heure des fake news ?
« Ce que mon film raconte de la politique, cela vaut pour tous les candidats, peu importe qui gagne ou qui perd à la fin », nous assure Rémi. A l’écart de l’actualité brûlante, le vidéaste s’échine à capter l’essence d’un imaginaire global, celui de la com’ politique. La photographie glacée puise dans les dominances bleutées des programmes, le rythme frénétique se calque sur celui des réseaux sociaux en période de course électorale, et les excursions oniriques entre océans et dunes témoignent de notre rêve d’évasion citoyenne, overdosés que nous sommes par les spots des chaînes d’info en continu, les clips de campagne, les tracts et les dérapages médiatiques des « représentants du peuple« . Et dans ce régime de l’urgence perdure celle des hauts fonctionnaires, » toujours dans l’expectative, tournés vers le mandat à venir, le discours à prononcer, pressés de rattraper un temps qui leur échappe« , dixit le cinéaste.
« Les hommes et les femmes politiques sont de vraies cailleras »
Malgré une narration éclatée, hors du temps, c’est une sensation de chaos bien actuelle qui explose à travers ce personnage. Comme si ses sauts d’humeur, de l’angoisse à l’euphorie – puis du cynisme à la folie – synthétisaient le grand cirque politique auquel nous eu droit ces derniers mois, entre mises en scène de soi, discours qui partent en vrille et contre-vérités en pagaille. Le tout sous la forme d’un conseiller qui révise son texte…à l’image d’un comédien. « Les hommes et les femmes politiques sont des personnages de fiction à l’état pur, approuve Rémi. Ce sont de vraies cailleras, prêts à tout, qui s’affranchissent et tracent leur sillon« .
Épiques et bonimenteurs, mégalos et vulnérables, les diverses facettes de ces « cailleras » s’esquissent durant ce voyage intérieur. Le politicien devient une entité abstraite, sur laquelle chacun peut projeter ses désirs. Entre l’espoir et l’étouffement, cette expérience très sonore rend compte d’un certain sentiment national à l’approche du sept mai. « Peu importe ce que j’ai pu dire, énoncer, promettre, mes mots n’ont pas de valeur« , affirme l’orateur. Pas de doute, les affects mis en scène sont bel et bien ceux de la post-vérité, cette époque où « tout devient possible« .
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