Rencontrer Jacques Coursil est une chance.
Le type est rare dans tous les sens du terme. Ceux qui aiment le free-jazz le connaissent pour deux disques mythiques, Black Suite et Way Ahead, enregistrés en 1969, sur le prestigieux label BYG. Certains se souviennent peut-être aussi que Coursil a joué (de la trompette) dès 1965, à New York, en compagnie de Sun Ra, Franck Wright, Albert Ayler ou Anthony Braxton.
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Au tout début des années 70, Coursil disparaît brutalement de la scène musicale, sans donner de nouvelles, pour s’orienter vers la linguistique, qu’il enseignera pendant plus de trente ans, à Caen puis aux Antilles, avant de partir aux USA, à l’université Cornell. Ce n’est qu’en 2005 que Coursil ressortira sa trompette, sur Tzadik, le label de John Zorn (qui fut son élève à Cornell), avec l’hypnotique Minimal Brass, puis pour l’album du rappeur français Rocé, Identité en crescendo, paru en 2006.
En 2007, c’est avec Clameurs, œuvre magistrale inspirée par ses racines martiniquaises, que Jacques Coursil a choisi de faire son retour, aux sources. Né à Paris en 1939, dans une famille communiste à une époque où “la France était dans une euphorie coloniale totale”, il évoque dans ce disque à la fois sombre, âpre et luxuriant, les Antilles qu’il n’a découvertes qu’à l’âge de 40 ans, après une vie d’évasion, à la fois physique et mentale. “Les voyages et la poésie ont été ma façon d’entrer en conversation avec le monde”, dit Coursil, lui qui, au début des années 60, se trouvait au Sénégal, auprès de Léopold Sédar Senghor, à qui il récitait des poèmes de Max Jacob, de Mallarmé et de Paul Valéry.
Inspiré par des textes de Frantz Fanon, d’Edouard Glissant ou du poète martiniquais Monchoachi, Clameurs est à sa façon une lente percée poétique au centre de la terre que Coursil a longtemps fantasmée, et dont il revisite aujourd’hui, souffle après souffle, la substance profonde comme les plus infimes aspérités. Ni ode ni élégie, Clameurs est un disque qui cherche la lumière avec humilité, qui se loge dans les petits interstices, presque par accident. C’est un album d’une rare beauté, que l’on peut écouter du jour défaillant jusqu’au petit matin avec le désir d’atteindre ce que Glissant encore appellerait le soleil de la conscience.
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