Adoubée par Doums et Jorrdee, la jeune rappeuse française Lala&ce défonce tout avec ses prod’ brumeuses et sa voix grave piquée d’auto-tune. A suivre.
Prononcez Lala Ace. « Lala » comme le « nom ivoirien de ma grand-mère » et Ace, « parce que je ace comme Serena sur chaque beat ». Ça a le mérite d’être clair. « C’est la meilleure rappeuse française » assure Doums, membre du collectif de rappeurs L’Entourage et grand pote de Nekfeu, que l’on croise dans le studio parisien où Lala&ce reçoit. Il est arrivé avec une boîte de choux à la crème qu’elle déguste entre deux cigarettes, en sweat rose pâle et slim noir déchiré. Grande, majestueuse, souriante, les cheveux ramassés en chignon sur le haut du crâne, de fines dreads retombant sur le front.
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On s’attarde parce que l’esthétique a une place importante chez elle. On l’a compris avec PDL, clip réalisé par le talentueux Kevin El-Amrani, vidéaste parisien aperçu chez les Pirouettes, Gnucci, la MZ, OK Lou, Alkpote et bien d’autres. C’est d’ailleurs lors d’un concert donné pour un aftershow de la marque française Koché en septembre dernier qu’elle l’a rencontré. Kevin El-Amrani embarque sa caméra pour Londres, où elle vit depuis deux ans. Là, sous des néons colorés, Lala&ce prend la pose enveloppée dans un grand manteau en fourrure signé Koché, de discrètes paillettes sous les yeux. Le titre cache l’acronyme de Poussière de Lune, expression qui rythme son refrain. « C’est la drogue, l’amour et ce que je rajoute sur ma musique comme un sel extra-terrestre » avance Lala&ce en guise d’explication.
https://www.youtube.com/watch?v=JVqtSA58_JI
D’elle émane cette voix grave, piquée d’autotune, presqu’asexuée, cotonneuse comme sous l’effet du lean, le mélange de sprite et de codéine qu’affectionnent certains rappeurs jusqu’à ralentir leur flow. PDL est un morceau de brume, codéiné jusqu’à l’os. Comme tous les titres qu’elle lâche sur Soundcloud et Youtube.
Ses paroles sont difficilement déchiffrables, sortes de hiéroglyphes sonores qu’il faut se passer plusieurs fois pour comprendre. Et encore. Certaines punchlines restent obscures, comme un langage extra-terrestre sur lequel on buterait faute de dictionnaire adéquat. Lala&ce n’articule pas.
« Si tu écoutes vraiment, que tu te concentres, tu comprends. C’est pour ça que j’ai fait un son où je dis « je ne fais pas danser les sourds. » Le truc c’est d’écouter plutôt que d’entendre. Il faut faire un effort » assène-t-elle.
« Ouaaaah c’est frais ! »
Quant à l’autotune, elle fait taire les critiques en expliquant qu’elle le considère comme un instrument :
« C’est comme un piano, il faut mettre la bonne tonalité, les bonnes notes. Je kiffe vraiment car ça demande de la précision. Quand j’ai écouté un premier son de T-pain et que j’ai entendu l’autotune, je me suis dit « ouaaaah c’est frais ! » Les aigus qui partent, qui vrillent, ça m’a parlé. Je devais avoir 14-15 ans. J’ai mis ça sur audacity, j’ai cherché comment faire sur internet. Je ne vois pas ça comme une facilité mais comme un instrument. C’est aérien et en même temps sous-marin. Tu peux en faire plein de trucs en fait. Tu l’entends dans les refrains mainstream qui font mal à la tête, mais tu peux en faire un bon truc et c’est ça que j’aime bien. »
Chez elle, l’autotune accompagne une douceur, une lenteur, une moiteur dans laquelle il fait bon s’enfoncer. « Ma musique est influencée par le chopped and screwed [technique de remixage popularisé dans le hip-hop nineties consistant à ralentir le rythme des morceaux, ndlr] J’aimais bien écouter des morceaux de Lil Wayne de cette façon. Ça me parlait et m’inspirait. Tu ressens plus les émotions, les sons chantés, wavy, si tu les ralentis.«
Lil Wayne revient toutes les trois phrases. « Je kiffe ce gars. Mes frères écoutaient beaucoup de hip-hop cainri. Et je matais MTV. Je me suis reconnue là-dedans même si je n’avais pas la même vie ! » raconte-t-elle. Au lycée à Lyon, cette petite dernière d’une famille de huit enfants écoutait aussi Booba. «
Mais je ne saurais pas trop citer de rappeurs français qui me font ressentir autant de choses qu’un rappeur cainri comme Lil Wayne » précise-t-elle dans la foulée.
Membre du crew 667
C’est à Lyon que Lala&ce croise la route de Jorrdee et de son crew 667. Le coup de cœur est réciproque. Elle devient la première fille du collectif. « J’ai beaucoup de potes garçon depuis que je suis petite. Je ne veux pas faire la fille clichée « J’aime mieux les mecs », mais c’est comme ça, c’est une habitude. Et puis j’ai grandi avec mes frères. On a la même mentalité. » Sur le sujet du sexisme dans le rap, Lala&ce ne s’épanche pas, rappelle juste que clips et punchlines ne sont que le reflet de la société, et que le hip-hop est « un truc de frime », ce qu’elle affectionne d’ailleurs. Côté icônes féminines, elle cite sa mère, Missy Elliott, et embraye sur l’importance de « l’authenticité »:
« Si t’amènes ton univers, si t’es authentique, il n’y a pas de problème. C’est ça la clé. Il y a des gens qui disent aussi que les blancs dans le rap c’est chelou. Alors que non, c’est juste une question d’authenticité. Tant que tu imposes ton identité, il n’y a pas de problème. C’est comme ça que je ressens mon truc. Je fais quelque chose qui me plait sans chercher à jouer le rôle de quelqu’un d’autre. »
« Éparpillés entre Paris et Dakar« , les douze membres de 667 échangent sur les réseaux sociaux. « On s’envoie les trucs dès qu’on les sort. Ça tourne de ouf. C’est important pour moi la validation de l’équipe. Ça donne de la force et tu sais si ce que tu fais fait toujours sens. » estime Lala&ce qui n’hésite pas à multiplier les featurings et ramener les membres de son crew sur scène lors de ses concerts. Tous partagent cette manie de grommeler leurs paroles jusqu’à les rendre difficilement compréhensibles. « C’est brouillé » résume-t-elle dans un sourire.
Outre Jorrdee, la rappeuse est proche de Retro X avec qui elle a signé DJINN, un beau featuring noyé dans la brume. Le clip est 100% stylé, des casquettes colorées aux mouvements des bras chaloupés :
Lorsqu’on l’interroge sur l’avenir, Lala&ce avoue éviter d’y penser. « Je regarde ce que je fais maintenant. Je sais juste que j’ai envie de faire de la musique, d’en vivre. Tous les trucs de com’ ça me fait chier en vrai, mais je sais aussi qu’il faut le faire. » Une meuf cool et sincère qui devrait sortir un premier EP, X/X, dans les semaines à venir.
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