Les eaux troubles de la jeunesse en fleur inondent la Croisette avec trois films coming of age qui célèbrent la nature.
L’ingestion dans un temps aussi resserré de la dernière récolte du cinéma d’auteur mondial donne étrangement l’impression qu’il n’y a peut-être, à un instant T, que quatre ou cinq canevas de films possibles. Que chaque cinéaste se coule dans un modèle produit par une sorte d’inconscient esthétique d’époque et s’ingénie à le faire sien, à l’irriguer de son imaginaire individuel.
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À voir trois des films présentés ce week-end et la façon vraiment troublante dont ils se font écho, on perçoit un de ces patrons d’histoire : le coming of age movie avec des sortilèges et de l’eau. El Agua d’Elena López Rieja, Falcon Lake de Charlotte Le Bon, Nos Cérémonies de Simon Rieth sont tournés à trois points éloignés du monde (le sud de l’Espagne, une forêt au Canada, la Charente-Maritime). Pourtant ces films nous parlent des mêmes troubles (l’intensité sans pareil de l’expérience adolescente) en empruntant des chemins vicinaux (rapport élégiaque à la nature, présence errante d’éléments fantastiques).
Dans El Agua, le corps exultant d’une jeune fille de quinze ans est lieu de tensions complexes entre ses désirs naissants (cristallisés autour d’un jeune homme d’une classe sociale légèrement supérieure à la sienne) et une sorte d’empêchement ancestral hérité de mère en fille. Les femmes de sa famille seraient gorgées d’eau et dans les périodes fréquentes de grandes crues, elles seraient emportées par le fleuve nourricier dont dépend toute l’économie de la région. Dans Falcon Lake, un adolescent français un peu malingre passe l’été chez une jeune Canadienne, fille d’ami·es de ses parents, près d’un lac où rôde dit-on le fantôme d’un jeune garçon assassiné. C’est en tout cas la chimère à laquelle s’accroche la jeune fille, mais parfois les chimères, comme les fleuves en crue du sud de l’Espagne, débordent de leur lit et emportent dans les eaux les corps des jeunes garçons. Dans Nos Cérémonies, un enfant meurt en se fracassant le crâne sur des rochers en bord de mer après un jeu trop brutal avec son petit frère. Mais celui-ci le ressuscite d’un baiser. Devenus ados, ils perpétuent ce rite sur un mode violent. L’aîné est comme agité par des crises de manque, et doit être régulièrement tué par son jeune frère, puis ressuscité, pour pouvoir continuer à vivre.
Un fleuve, un lac, la mer : trois états de l’eau pour trois récits tumultueux d’apprentissage, où il est vraiment difficile de cerner ce qui a été transmis. Que l’adolescence est toujours un combat furieux avec un mauvais sort. Certain·es le bravent et en sortent crânement victorieux·euses (El Agua), d’autres y succombent et hantent à jamais un environnement sylvestre de conte dans un état d’adolescent éternel (Falcon Lake), d’autres encore s’en sortent et ne s’en sortent pas à la fois (Nos Cérémonies). L’issue est de toute façon tragique.
Atteindre l’âge adulte est un déchirement et une mort (celle de l’état d’adolescence). Mais seule la mort permet à l’adolescent de ne jamais l’atteindre. L’adolescence est ce qui ne peut que mourir, mais sa puissance de hantise est sans fin.
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