La campagne présidentielle de François Fillon a plus ressemblé à un calvaire qu’autre chose. La lecture de François Fillon, les coulisses d’une défaite nous rappelle pourtant que, depuis 2012, le candidat de la droite à la présidentielle a toujours connu de grosses tensions au sein même de son parti. Chronique d’une défaite annoncée.
« François Fillon a su incarner le bon sens et la droite des valeurs de cette primaire. Mais il lui manque la dimension populaire. Il lui appartiendra de la conquérir, notamment sur la sécurité et sur l’immigration, s’il veut aller plus loin. » Cette mise en garde signée du plus sarkozyste de tous, Brice Hortefeux, a lieu le 13 décembre 2016. L’ami de l’ancien président évoque ainsi sans le dire explicitement, aux deux journalistes du Monde Matthieu Goar et Alexandre Lemarié, le calvaire que va subir le candidat de la droite au cours de sa campagne à la présidentielle pendant trois mois. Celle-ci, cristallisée par les révélation du Canard Enchaîné concernant le supposé emploi fictif de sa femme comme attaché parlementaire.
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Une campagne aux allures de supplice chinois
Cette campagne aux allures de supplice chinois est narré dans François Fillon, les coulisses d’une défaite (éd. L’Archipel). L’ouvrage montre, en prenant un peu de recul, que les complications pour François Fillon n’ont pas débuté par les révélations de l’hebdomadaire satirique. Au contraire, il n’a jamais réussi à faire l’unanimité au sein de son propre camp. Rendant de facto toute l’idée d’union et de cohésion autour de son projet de « redressement national », totalement factice. Ce livre, véritable journal au jour le jour, d’un peu moins de 300 pages se scinde en deux. La première partie débute sur l’après 2012 et la défaite de Nicolas Sarkozy face à François Hollande lors de la présidentielle. “Je crois que c’est désormais à moi de prendre mes responsabilités”, confie alors François Fillon à quelques intimés à sa sortie de Matignon.
L’aventure débute par un gros coup de guigne. L’été qui suit, il se fracture la cheville en scooter sur l’île de Capri. Il manque donc le rendez-vous des ténors de la droite autour de Sarkozy, le 25 août 2012. L’histoire semble s’inscrire sans lui, si Sarkozy veut reprendre son trône, son ex “collaborateur » ne doit pas s’émanciper. Jean-François Copé est « missionné » par l’ancien président pour le calmer ; il annonce sa candidature à la présidence de l’UMP lui aussi, qui aura lieu à l’automne. Fillon sent le souffle sur sa nuque ; à une époque où le lien n’est pas encore rompu avec la presse, il lâche lors d’un off au wagon-bar d’un TGV sa crainte de fraudes massives lors de l’élection interne de novembre pour désigner le futur président.
La prise ratée de l’UMP en 2012 : point de départ des ennuis
La suite est connue, la nuit du 18 novembre où les deux candidats clament leur victoire. On doit faire appel à la désormais célèbre Cocoe. Les plus grosses fraudes observées ont lieu dans la circonscription d’Eric Ciotti, qui roulera pourtant pour Fillon jusqu’au bout en 2017. S’en suit une tentative ratée de prise du parti, celle avortée de mener un groupe dissident à l’Assemblée et enfin cette campagne où, souvent seul et hors du système médiatique, il n’est pas audible. Pourtant, il s’accroche aussi sûr de son fait que de son programme.
Après l’élection interne manquée, Fillon ne mène pas longtemps son projet de dissidence, il obtient de l’UMP la tenue d’une primaire ouverte en 2016, pour désigner le candidat de la droite et du centre à la présidentielle. Il va alors entamer une longue campagne à travers la France pour défendre ses idées et ses thématiques pour la France. A l’époque, en 2013, peu le jugent crédibles. “Fillon va se faire exploser par Sarko à la primaire”, prédit le sarkozyste et proche de Xavier Bertrand, Gérald Darmanin. L’homme de la Sarthe lui, trace son chemin.
Le directeur de campagne de Fillon avait fait fuiter des documents compromettants sur Copé et Sarkozy
A partir de 2014, il commence à régler ses comptes et montrer les dents. Cela passe par une émancipation avec Nicolas Sarkozy, qui annoncera son retour en politique au mois de septembre de cette année. Au début de l’été 2014, des documents financiers de l’UMP fuitent à la rédaction du JDD. “Elles mettent en lumière la gestion financière de Copé, qui aurait plombé les comptes [du parti] avec des dépenses non maîtrisées », écrivent les deux auteurs. On apprend que ces fuites ont été organisées par le directeur de campagne de François Fillon durant la primaire, Patrick Stefanini.
“Toutes les ‘informations’ qu’il communique concernent uniquement les camps Copé et Sarkozy. C’est à cette époque que François Fillon déjeune avec Jean-Pierre Jouyet le 24 juin 2014 pour l’inciter à ‘taper vite’ sur Sarkozy », peut-on lire.
Des événements qui ne seront sans doute pas oubliés pendant la folle campagne présidentielle de l’ancien Premier ministre.
Car de sa victoire au second tour de la primaire, le 27 novembre 2016 à l’humiliation de son élimination au premier tour de la présidentielle, le 23 avril 2017, François Fillon n’eut que dix jours de répit : de son investiture officielle comme candidat LR le 14 janvier 2017 aux premières révélations du Volatile, le 24 janvier.
Une campagne présidentielle aussi atroce qu’inaudible
La seconde partie du livre, la plus détaillée, livre le récit jour après jour de la campagne présidentielle la plus incroyable qu’on ait pu suivre au cours de la Ve République. François Fillon aura tout connu durant cette campagne. Les révélations sur l’emploi de sa femme comme collaboratrice parlementaire et à La Revue des Deux Mondes. Mais aussi sur les emplois de deux de sens enfants, sur des costumes qui lui ont été offerts en février 2017 par le sulfureux avocat Robert Bourgi ou sur des montres de luxe lorsqu’il était Premier ministre ; sur sa société de conseil 2F où il aurait pu avoir joué un rôle d’intermédiaire entre un milliardaire libanais spécialisé dans le pipeline, le président de Total et le président Russe Vladimir Poutine. Sans oublier les concerts incessants de casseroles à chacun de ses déplacements, son enfarinage un soir de meeting, son propre camp qui le lâche et des relations tendues avec les médias, la justice et l’exécutif qu’il accusa d’avoir monté un « cabinet noir« .
On apprend également dans cet ouvrage remarquablement sourcé combien la traque dans la « taupe » occupa les esprits au sein du parti. Les soupçons se portant à plusieurs reprises sur des élus de la droite comme Rachida Dati.
Jusqu’au bout cette campagne restera un mystère pour les journalistes, les politiques et au fond, le plus important, les Français. Comme le résument Matthieu Goar et Alexandre Lemarié, en préambule de leur livre :
« Jour après jour, sa campagne est devenue un bateau ivre. L’homme sérieux a dû composer avec l’irrationnel, les passions médiatiques et les humeurs incontrôlables de l’opinion. Malgré les pressions, les abandons et le délitement de son camp, il n’a jamais renoncé. Il a utilisé tous les ressorts pour survire. (…) Une vraie campagne à l’envers, durant laquelle il n’a survécu qu’en devenant un autre. (…) Mais rien ne s’est passé comme prévu. Il l’a lui-même déploré au soir de sa défaite : « Les obstacles mis sur ma route étaient trop nombreux, trop cruels… » S’en relèvera-t-il ? »
Surprise ou pas, Le Canard Enchaîné annonce dans son édition du 3 mai que François Fillon a bel et bien porté plainte contre l’hebdomadaire. The show must go on.
François Fillon, les coulisses d’une défaite de Matthieu Goar et Alexandre Lemarié, édition L’Archipel, sortie le 10 mai 2017
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