Le pilier du cinéma polonais Jerzy Skolimowski met le monde animal à l’honneur.
En polonais, “Eo” signifie “Hi-han”. C’est le nom (idiot – appelle-t-on un chat “Miaou” ?) que des humains ont donné à un âne. L’animal, qui a la réputation d’être bête et têtu, est le personnage principal du nouveau film de Jerzy Skolimowski (Le Départ, Deep End, Essential killing, etc.). Figure importante du cinéma moderne polonais, le réalisateur de 84 ans, présente en compétition le film le plus impressionnant, formellement parlant, que nous ayons vu depuis, disons, Le Livre d’image de Godard (2018) dans un autre style.
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Les pérégrinations d’un âne pas comme les autres
Eo raconte donc l’histoire (car il y en a une) d’Eo, qu’on arrache à la piste pour couvrir les dettes du petit cirque en faillite où il travaille et vit sous la protection de Kasandra, la jeune femme qui en a fait son partenaire (Sandra Drzymalska, découverte dans Sole de Carlo Sironi). Mais le temps où l’on exploitait les animaux dans des spectacles est passé et des militant·es ne se privent pas de le signaler en manifestant. Alors, Eo se retrouve dans une écurie, perdu parmi ces êtres vivants vaniteux qu’on appelle des chevaux. Mais comme celui de Robert Bresson, il n’est pas au bout de ses peines, notre Balthazar contemporain.
Durant 1 h 27, nous allons suivre Eo dans ses pérégrinations et ses mésaventures, dans ses fugues et ses évasions multiples, l’humain ne supportant pas qu’un animal domestique puisse vivre en liberté. Au fond, il ne se sent bien nulle part. Autoportrait d’un cinéaste en âne atrabilaire ? Possible. Dans son film précédent, 11 minutes (passé totalement inaperçu en 2015), Skolimowski exprimait déjà une certaine haine ou de dégoût à l’égard de l’espèce humaine. Ici, toute la bêtise (notamment lors d’un hilarant match de football), les sexualités (masculine et féminine – la scène avec Isabelle Huppert est quasi sadienne), la violence aveugle et débonnaire de l’être humain vont nous sauter aux yeux comme une évidence.
Une fable animale, mais pas animaliste
Militant animaliste, Skolimowski ? Non. Les autres animaux ne valent guère mieux : les loups, les hiboux, sont des prédateurs sans cœur la nuit, et les vaches, des idiotes. Aucun n’échappe à l’appréciation de l’âne, qui s’exprime surtout par ses mouvements d’oreilles, et de quelle manière !
Car tout est formalisme dans Eo. Dans l’image, évidemment, souvent à la limite de l’abstraction, avec un plaisir communicatif pour les longs travellings, les effets de couleurs, les grands angles et les visions stroboscopiques, mais aussi dans le son et la musique (du compositeur Pawel Mykietyn), comme soudés aux images dans un cri puissant contre le mal qui court notre monde.
On ne sait évidemment pas quel sort le jury, présidé par Vincent Lindon, réservera à cette fable si énergique, désespérée et exceptionnelle, mais une chose est sûre : Eo décape le regard.
Eo de Jerzy Skolimowski. Avec Sandra Drzymalska, Isabelle Huppert, Lorenzo Zurzolo…
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