La 75e édition du Festival de Cannes s’est ouverte dans un contexte difficile pour le cinéma et pour l’état du monde.
Beaucoup plus qu’une coïncidence, peut-être un acte manqué ou en tout cas la manifestation d’un inconscient : le Festival de Cannes 2022 s’ouvre comme celui de 2019 par un film de zombies. Après The Dead Don’t Die (Jim Jarmusch, film d’ouverture 2019), ce sont donc, avec Coupez ! de Michel Hazanavicius, de nouvelles variations drolatiques sur les codes du film de genre qui ont lancé la 75e édition du festival.
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Que nous disent tous ces zombies pantelants ? Le festival affirme-t-il sans le savoir son vœu très cher de tout reprendre comme en 2019 en effaçant le grand dérèglement qui a suivi (annulation d’un festival, édition hors de ses gonds printaniers l’année suivante…), comme si seul ce retour des zombies pouvait nous relier au monde d’avant ? Ces zombies sont-ils plutôt les porteurs métaphoriques d’un diagnostic alarmant de l’état du cinéma, mi-mort mi-vivant ? Un tout récent rapport de l’Association française des cinémas art et essai a affolé les médias à la veille du festival, en martelant chiffres à l’appui ce que chacun pressentait plus ou moins confusément : le public du cinéma d’auteur n’a pas pleinement retrouvé l’habitude des salles après leur fermeture d’un an.
La pression est forte
La mauvaise nouvelle tombée, la pression est forte pour le festival de savoir retisser ce lien entre le public d’art et d’essai et la panacée du cinéma d’auteur mondial dont il est le podium (rappelons que l’an dernier, où la fréquentation était encore bridée par des mesures sanitaires, 300 000 spectateurs était le lot des films les plus événementiels de la Compétition – Annette, Benedetta, Titane…–, ce qui est peu).
Si ce n’est par son genre, c’est peut-être par son titre que le film de Michel Hazanavicius fait signe – il faut bien chercher d’autres raisons que sa qualité (quasi nulle) à l’élection en film d’ouverture de cette pochade approximative. “Coupez !” C’est probablement ce que se dira le festivalier plus d’une fois face à la longueur moyenne des films proposés en compétition (2 h 20 ou pas loin). Coupé ? C’est le plus grand risque que court un festival de cinéma (devenu qui plus est avec le temps une des vitrines les plus prisées des puissances de l’argent). Un festival coupé de l’état d’un monde assez mal en point ? La cérémonie d’ouverture paraissait plus enténébrée que festive et le discours inaugural du président du jury Vincent Lindon multipliait les passerelles de l’un à l’autre.
En organisant une prise de parole de Volodymyr Zelensky en plein cœur de sa soirée de lancement, le festival a réussi de fait à se connecter de façon puissante à l’actualité la plus vive. Bien que confuse par endroits, oscillant sans cesse entre les louanges pour les films lanceurs d’alerte (exemplairement Le Dictateur de Chaplin) et le constat embarrassé que le cinéma pouvait aussi se mettre au service du fascisme (sans que le président ukrainien ne sache très bien comment statuer sur cet antagonisme), citant une réplique d’Apocalypse Now, particulièrement glaçante dans ce contexte (“J’aime l’odeur du napalm au petit matin”), l’interpellation de Zelensky réussissait néanmoins à agiter des idées (sur la notion d’intervention dans l’art, de sa capacité à rendre compte du présent…) et a donné une direction au festival, entre bravoure et engagement.
Les films seront-ils au rendez-vous de cette injonction à l’héroïsme artistique ? Réponse possible dès demain avec le nouveau film (enfin en sa présence) de Kirill Serebrennikov, cinéaste russe dissident longtemps assigné à résidence par le gouvernement de Poutine.
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