Avril 2010. On refait le match de leur vie avec JoeyStarr et Kool Shen. L’osmose entre les deux complices se confirme tout au long de cette rencontre de deux heures. Extraits de l’interview parue mercredi dans le hors-série des Inrocks « NTM, toujours d’attaque« .
Le Parc des Princes et Les Vieilles Charrues, ce sera différent de Bercy 2008 ?
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Kool Shen : Rien que changer l’ordre des morceaux, c’est délicat. Ça avait été très bien fait à Bercy. Après, on va faire quelques nouveaux trucs, pas forcément un morceau entier mais quelques bribes… Pas un titre inédit mais de l’inédit. Et là, on a de vrais musiciens. A Bercy, on avait des Jamaïcains, on aurait mieux fait de chercher des musiciens…
Pour la scénographie, il y aura quelques changements, mais ça ne sera pas fondamentalement différent. Moi, je voulais tout changer, mais juste pour le premier morceau : fais toute la discographie de NTM, tu ne trouveras pas mieux que Seine-Saint-Denis Style pour entrer sur scène. On pourrait rentrer sur d’autres titres, mais le plus efficace, je te le garantis, c’est celui-là. Et après, il faut un rapide, y a quoi ? Lequel s’enchaîne le mieux ? On est encore là ? Ah, merde, c’est celui qu’on a fait à Bercy !
JoeyStarr : Faut que t’arrêtes de dire ça sinon les gens ne vont pas venir.
Kool Shen : Qu’est-ce que tu veux, je ne suis pas un menteur.
JoeyStarr : Pas besoin de mentir ! Bon, la dimension va être différente, c’est sûr. La couleur, tout. La différence d’un concert à un autre, c’est l’interaction et l’humeur, alors avec un band, c’est un autre son, tout est différent.
Plus de bouteille, ça apporte une autre façon d’être sur scène par rapport à l’époque du premier Zénith, en 1992 ?
Kool Shen : Ça permet de mieux groover et de ne pas le faire qu’à l’énergie, oui. Je ne vais pas te dire qu’on est juste sur le confort. La musique n’était parfois pas au niveau, notre flow était plus rock’n’roll que rap, donc effectivement notre bagarre incessante palliait peut-être certaines lacunes qu’il pouvait y avoir, qu’il y a beaucoup moins aujourd’hui. On n’est plus forcément obligés de se battre pour qu’il se passe un truc sur scène.
Il y a treize ans, vous jouiez déjà au Parc, mais trente-cinq minutes, pour humilier le Wu-Tang Clan…
Kool Shen : En même temps, les mecs viennent, ils ne sont pas préparés, ils n’ont pas répété, ils chantent en play-back : forcément, tu vas te prendre une gifle – ils s’étaient vraiment plantés.
JoeyStarr : Nous, on était en pleine tournée, on jouait une heure et demie. Tu viens nous chercher pour cinq morceaux – t’as vu, il suffit de sélectionner les cinq meilleurs qui vont faire du bruit : c’était évident pour nous qu’on allait arriver plein pot. Mettre la salle en l’air.
La scène, c’était la première motivation ?
Kool Shen : On a même commencé par monter sur scène avant de savoir qu’on allait faire des disques un jour.
JoeyStarr : Et quelle que soit la discipline pratiquée, on a toujours été des performers. Dans la danse, le graffiti, le rap.
Quand Manœuvre a dit que NTM était le meilleur groupe de rock français, vous l’avez pris comment ?
Kool Shen : Si ça avait été dit par quelqu’un d’autre, ça aurait pu être mal pris, mais dans sa bouche c’est un compliment.
JoeyStarr : On leur a fait du mal aux rockeurs. Quand on a fait les premiers festivals, ils nous ont vus collés au plafond, ils ont compris. Les mecs sortaient : “Mais ils sont où leurs musiciens ?” On leur a montré.
Les morceaux d’il y a vingt ans qui paraissaient scandaleux à certains étaient positifs, mais tout le monde est passé à côté.
JoeyStarr : Déjà, on s’appelait Nique Ta Mère, ça changeait total la lecture. Et c’était l’époque : qui on avait en face ? IAM, propres sur eux…
Kool Shen : Solaar.
JoeyStarr : Ah ouais, c’est vrai. Normal qu’on puisse avoir l’air subversifs face à tous ces gens !
Kool Shen : Je pense honnêtement que le nom y est pour beaucoup. On a commencé à nous attaquer pour J’appuie sur la gâchette en disant qu’il y avait une arme sur la pochette… Ils n’ont pas écouté les titres. J’ai sorti un album avec un morceau titré Salope.com, tu sais que Ni Putes Ni Soumises voulait faire un procès ? Alors que ça parle des mecs qui vont sur internet raconter des conneries. Elles n’ont même pas écouté !
Vous avez le souvenir du jour où vous avez trouvé le nom ?
Kool Shen : Très très bien. C’est un mec qui s’appelle Colt, un graffiti artist qui était dans NTM et avec Mode 2, il faisait beaucoup de tracts pour des soirées. Un soir, il écrit N-I-C-K, le prénom, et Tahmaire, le nom de famille, présente, suivi du nom de la soirée. On était aux Halles, tous ensemble, on regarde le truc, et voilà, on rigole sur le fait qu’il a écrit “nique ta mère”… Nous, on écrivait sur les murs, on n’avait aucune inspiration, donc s’appeler Nique Ta Mère, c’était parfait.
JoeyStarr : Et puis c’était l’époque où tout le monde s’appelait Criminal machin…
Kool Shen : Les mecs prenaient tous des noms ricains…
JoeyStarr : Nous, on était vachement anglophones dans l’attitude ! Et on est rentrés dans le rap avec des trucs genre Beastie Boys, Run-DMC, plus agressifs.
Kool Shen : Il y avait un côté trash qui nous plaisait dans les Beastie, c’était notre côté rock’n’roll.
JoeyStarr : No Sleep Till Brooklyn, j’ai l’impression de l’avoir écouté toute ma vie. Licensed to Ill, on est tombés par terre. Il y avait une énergie. Ça allait avec notre culture musicale de base – moi j’ai écouté du rock quand j’étais jeune.
Kool Shen : Et on a été assez anti-clichés sur tout. Donc voir des espèces de Blancs énervés un peu rejetés par la communauté rap, ça nous plaisait. Le consensuel, ça n’est pas notre spécialité.
Vous étiez déjà super-fiers…
JoeyStarr : Ah ouais, Cachin, on te faisait chier !
Un peu, oui. Je me rappelle quand on a tourné le clip du Pouvoir pour mon émission Rapline. Bruno, tu m’avais pris à part pour me parler d’une chronique de Rapattitude où je disais que les voix étaient faibles. Et tu m’as dit : “C’est vrai, mais sauf sur nous.”
Kool Shen : Très susceptibles aussi.
JoeyStarr : Et puis l’interview était vers chez nous, donc on allait pisser dans les coins. Et on arrivait toujours à 40, avec des mecs qui n’en avaient strictement rien à foutre : “On peut la pécho la caméra à la fin ?”
Vous avez toujours eu le sens de la répartie…
JoeyStarr : On vient des quartiers, donc le sport national c’est la chambrette. Et quand ça devient trop sérieux, tu mets une connerie sur le tapis. Avec Michèle Alliot-Marie sur Zone interdite, je tapais sur la table avec mes bagues, elle sursautait à chaque fois !
Kool Shen : Elle te sort : “Oui, je suis allée en banlieue dernièrement, écoutez, ça s’est assez bien passé.” Et toi tu lui réponds : “Ah ouais, là j’ai envie d’être malpoli !”
Et Eric Raoult sur TF1, qui voulait que vous redonniez de l’argent aux banlieues…
JoeyStarr : Je trouve qu’il n’a pas tellement évolué. On le voit encore à la télé !
Kool Shen : A chaque fois qu’il ouvre sa gueule, c’est un scandale. Tu sens qu’il n’est pas très intelligent, il est très limité.
Votre discographie est étonnante : souvent, dans le rap, les meilleurs disques sont les premiers. Vous, il y a eu une progression sur les quatre albums.
Kool Shen : Si on n’avait pas arrêté en 1998, on aurait pu amener le truc un peu plus loin. Faire un cinquième album, plus abouti, parce qu’on était dans une période où on entendait mieux la musique qu’au départ, on savait un peu plus ce qu’on faisait. Ce qui n’empêche qu’il y a des gens qui trouvent que notre meilleur album est le premier ! Malheureusement.
Vous pensiez quoi d’IAM au début ?
JoeyStarr : Le conflit avec IAM, c’est suite aux concerts de Banlieues Bleues. Musicalement on les trouvait cool, mais quand on les voyait en vrai…
Kool Shen : Tu te souviens quand on s’est enfermés avec eux dans leur loge ? Ils avaient dit qu’ils allaient nous jeter dans le Vieux-Port. On a fermé à clé, on a demandé : “Qui c’est que tu vas jeter dans le Vieux-Port ? Parce que nous, on a un canal !” Ils nous ont dit : “Mais c’est des trucs de journalistes, on l’a jamais dit, nanani…”
JoeyStarr : On s’est sauvés direct. Bande de tarlouzes.
Kool Shen : Honnêtement, quand j’ai écouté les premiers textes d’Akhenaton, je me suis dit : “Mais comment on va faire ?” Nous, on avait écrit Par ma voix, par ses scratchs et Je rap. L’autre, il en était à 80 textes, et il avait un niveau d’écriture, il avait été à l’école, ça tournait…
Il y a aussi eu le morceau Reste underground…
Kool Shen : C’était la touche en plus. Ah, faut qu’on reste underground ? OK, pas de problème !
… Et La Guerre sainte du rap !
JoeyStarr : Ah, putain, mais va manger la culotte à ta vieille avec ta Guerre sainte du rap. Il se prend pour qui, sérieux ? Après, je le rencontre sur un plateau télé et je lui dis : “Mais qu’est-ce que tu racontes, toi ?”
Kool Shen : Normalement, le mec doit te répondre : “Ouais, c’est la guerre sainte !”
JoeyStarr : Dans ce cas-là, on sort, on s’explique, on va transpirer un peu, on revient. En plus ils ouvrent leur gueule, comme ce soir-là à Gardanne : on avait un concert ensemble pour Banlieues Bleues, c’était après le soir sous le chapiteau à Saint-Denis où c’était parti en couilles – il n’y avait que ma mère qui n’avait pas eu peur, sérieux. Et IAM avait dit qu’on avait foutu la merde, que “Chez nous à Marseille, on cônnnntrôôôôle”.
Donc, même concert, à Gardanne, sous un chapiteau de 5 000 places ; il y avait 300 personnes et on aurait dit qu’ils étaient 20. Et ça part en couilles au même moment, après trois morceaux du set d’IAM. Et eux, qu’est-ce qu’ils font ? Ils arrêtent la musique (accent marseillais irrésistible – ndlr) : “Oh, qu’est-ce qui se pâsse ?” Et là t’entends une voix qui fait : “Vas-y, descends, on va te gifler, la danseuse !”, destiné à Malek Sultan. Le mec est remonté vite fait. Nous, on était dans les gradins qui étaient déserts, huit mecs alignés avec la capuche en molleton Suprême NTM, et on téma ce qui se passe, on voit des tipeus qui courent après un gros balèze…
Kool Shen : On se régale !
Au début, les médias ne vous parlaient pas de musique, on vous faisait venir pour des sujets de société…
JoeyStarr : Au départ, pour la promo, on ne se retrouvait que dans des émissions à caractère social. On est des gens sincères et honnêtes et on a toujours pris ça comme de la promo, alors ça nous cassait les couilles qu’on vienne nous chercher pour défendre les mazoutés quand on était venus vendre un disque. Après, t’as les syndicats de keufs en face, un homme politique, un sociologue… C’est pas notre univers. Faire miauler les mecs dans les chaumières, c’est pas notre posture.
On nous plaçait en tant que victimes parce qu’on était les représentants de la banlieue, mais cette posture victimaire, on ne l’a jamais eue. C’est un peu ce que je reproche au rap aujourd’hui : ça miaule. Le hall d’en bas, c’est une étape les gars. Lui, il est un peu allé à l’école, moi pas trop, on a tous les deux des parcours différents mais on n’avait pas besoin de se parler, on s’est trouvés tout de suite. On ne se disait pas grand-chose, en fait.
Kool Shen : Pas besoin d’expliquer, c’est du ressenti. On n’était pas deux victimes.
JoeyStarr : On allait faire des graffitis la fleur au fusil. Lui, il peignait, pendant ce temps moi j’allais voler une mobylette pour rouler sur les rails, ou j’étais bourré… Au départ, on passait notre temps à rigoler. On partait à Deauville, on voyageait dans les frigos pour pas payer le billet, le soir on dormait sur les linos sur lesquels on dansait la journée ! Bon, voilà, on était heureux ! Déjà on sortait de chez nous. Tout s’est un peu fait dans cette continuité. La première fois que je me suis retrouvé en studio, j’ai pas pris le truc au sérieux. On a commencé à être pro quand on a fait notre premier Zénith.
Avec Nas, c’était une expérience marrante, aussi…
Kool Shen : On s’est rendu compte que c’était un gamin, en vérité.
JoeyStarr : Le Cainri de base. Moi, la sensation que j’ai eue quand on est arrivés pour faire le clip d’Affirmative Action à New York avec lui, c’est d’être pris pour des provinciaux, des espèces de bouseux qui arrivent de je ne sais où. Il nous l’a bien fait sentir. On demande où est Nas, et le mec de la maison de disques nous dit : “Il tourne dans le quartier, il arrive”, alors qu’il est 18 h et qu’on est là depuis 9 h du matin… Après, moi je suis comme je suis, quand le keumé arrive, il me tend la main et je lui dis : “Vas-y, je te serre pas la main, tu m’as pris pour une banane.” En plus on était avec un réalisateur à court d’idées. Comme Nas n’arrivait jamais, le réal nous disait : “I’ve got an idea! On va dans le métro et on fait des plans.” Moi, je suis rentré dans le métro et j’ai filé à l’hôtel direct. Le second jour de tournage, le réal dit : “I’ve got an idea! Vous allez dans la voiture de Nas !” Et Nas qui dit en montrant Kool Shen : “Le Blanc, là, il ne monte pas dans ma voiture.” Je téma et je me dis : “Ça va durer longtemps ?, je vais craquer, là !” On devait aller tourner à Queensbridge mais on n’a pas pu, il disait qu’il y avait des embrouilles…
Kool Shen : Ils voulaient faire venir Nas à Paris, mais comme Biggie était mort, il ne voulait plus prendre l’avion… En revanche, quand il est arrivé à Paris, là…
JoeyStarr : C’était Rapper’s Revenge!
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