Rencontre avec Sayyid El Alami, la révélation de la série “Oussekine” sur Disney+.
Bonne surprise du printemps des séries, la très intéressante Oussekine fait émerger un visage que l’on ne connaissait pas vraiment, mais qui paraît familier en un coup d’œil. Une question de style, de spontanéité, d’immédiateté dans le jeu. Dans les quatre épisodes créés et réalisés par Antoine Chevrollier, Sayyid El Alami incarne le jeune homme victime des coups de la brigade des voltigeurs, un soir de décembre 1986 alors qu’il rentrait d’un concert de jazz.
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Malik Oussekine avait 22 ans lorsqu’il est mort, devenant le symbole des violences policières commises en France. Sayyid El Alami a vingt-quatre ans et son aura devrait monter en flèche après cette pépite diffusée par Disney+. Il avait déjà fréquenté les plateaux de Bertrand Bonello (un petit rôle dans Zombi Child), joué dans une minisérie TF1 (Une si longue nuit) ainsi que dans l’Américaine Messiah.
De Malik Oussekine, El Alami a voulu garder intacte la part de séduction et de légèreté décelée sur des photos et quelques archives. L’image d’un garçon souriant et discret, évoluant au-dessus de la mêlée. “Antoine Chevrollier m’a donné la valise de Malik avec ses affaires personnelles, que ses frères ont eu la gentillesse de nous prêter. On y trouvait ses cours, une carte bancaire, sa montre cassée qu’il portait quand il a été tabassé à mort. Un peigne, aussi. Cela m’a aidé à comprendre qui il était et à me situer. J’ai rencontré ses frères Mohamed et Ben Amar. L’un d’eux l’avait emmené à Washington, ils parlaient des nuits entières de la vie. Malik était passionné par la musique, intéressé par le fait de rejoindre la foi chrétienne. J’ai absorbé tout cela. Le gros travail d’un acteur, c’est d’être à l’écoute, de juste prendre.”
Pour prendre, encore faut-il avoir face à soi des personnes capables de donner. Originaire de Toulouse, Sayyid El Alami est arrivé à Paris l’année de son bac avec l’ambition de percer. “Avoir un casting, c’était déjà une lutte, car je ne connaissais personne.” Un an après, il rencontre celui qui devient son meilleur ami, l’acteur Samir Decazza (Narvalo, Loin du périph). “Il avait les mêmes rêves, connaissait la même merde et la même galère que moi, il venait même de plus loin. Il m’a tendu la main.” Au fil de la conversation, El Alami raconte son éducation. “Comme Antoine Chevrollier, je viens d’une famille pauvre. Malgré cela, j’ai eu la chance d’avoir un capital culturel. Mon père a un doctorat d’État en sciences politiques, même s’il n’a pas vraiment pu travailler. Ma maman lisait beaucoup, écoutait France Culture et se montrait très active pour qu’on s’en sorte, pour ne pas mourir socialement et garder la tête haute. Elle a toujours refusé les HLM en cité. Pour elle, parquer des gens avec aussi peu de capital culturel et financier, c’était les jeter dans l’échec.”
Un acteur poétisé et politisé
L’autre partie de sa construction personnelle, Sayyid El Alami l’a trouvée dans le rap français. “Le rap m’a éduqué. Je parle de Kenny Arkana, Médine, Kery James, Youssoupha. Mais je ne suis pas un puriste qui va dire : ‘Ça c’est pas du rap conscient, le rap c’était mieux avant’. Côté US, j’aime beaucoup Mos Def que mon frère écoutait. La pauvreté, pour moi, c’est la vraie plaie de ce monde. Eminem en a parlé, Jay Z, Mob Deep, Nas à propos du Bronx…” Et la tentation de créer de la musique ? “C’est le seul art que j’ai envie d’écouter pour m’en inspirer, mais je ne veux pas en être. Je veux développer un esprit hip-hop dans le jeu. J’ai aussi d’autres passions en dehors du rap : la deep house, les musiques de films comme celles de Max Richter et Hans Zimmer. L’un a fait la BO sublime de The Leftovers, l’autre le score de Interstellar. »
Au fil des mots, on découvre un jeune homme à la fois politisé et poétisé, parlant de La Distinction de Bourdieu que lui a offert le réalisateur d’Oussekine en fin de tournage, de sa passion pour Édouard Louis et le cinéma de Ken Loach. Il cite également Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin avec Dylan Robert, Debout les femmes de François Ruffin, À plein temps d’Éric Gravel, Ouistreham d’Emmanuel Carrère et les documentaires de David Dufresne. L’actualité le fait parfois bondir. “Quand un mec dans un reportage explique qu’il transporte de la bouffe et qu’il n’a pas assez pour manger, aujourd’hui en France, vous réagissez comment à ça ? Toutes les inégalités me rendent malade et il ne faut pas que je me rende malade, d’ailleurs. Je fais du cinéma aussi pour rire.”
Pour lui, Oussekine se situe dans une lignée éducative. “Cette série est intéressante parce qu’au-delà du rôle de Malik, elle éduque et raconte une histoire. On remet un sujet sur le devant de la scène, pour comprendre ce qui se passe en ce moment. La série parle d’une violence étatique. Au-delà du politique, on voit ce que sa famille a subi. Aujourd’hui, avec les Cédric Chouviat, les Adama Traoré, ces histoires se répètent.” Sur ces questions, El Amani donne en exemple la minisérie d’Ava Duvernay When They See Us et Detroit de Kathryn Bigelow. Avant de conclure en évoquant la masculinité qu’il ne veut plus défendre. “Les vieux modèles masculins virils ne sont plus valides pour moi, car ils portaient en eux un grand manque de respect envers les femmes. Aujourd’hui, plein de choses ne sont plus valides et c’est tant mieux.”
Oussekine est disponible sur Disney+.
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