« Formidablement inventif » pour les uns, « palme de l’ennui » pour les autres, le film du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, récompensé à Cannes, déchaîne les passions chez nos confrères.
Depuis quand un film primé à Cannes n’avait-il fait autant fait ja(cas)ser la presse française? Depuis 1999, la Palme d’or pour Rosetta des Dardenne et le Grand prix pour L’Humanité de Bruno Dumont?
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Dès le lendemain des résultats de cette édition 2010, le Figaro frappait en qualifiant Oncle Boonmee qui se souvient de ses vies antérieures de « palme de l’ennui » et en s’y attaquant méchamment, sur son site, dans une vidéo intitulée « Les nanars du 63e festival ».
« Assommant », « pitoyable », « interminable », serinaient, mine satisfaite, les journalistes maison, dans ce vieux style droitier qui consiste à se vanter de ne rien comprendre à un œuvre d’art pour la déconsidérer, puisque tout ce qui échappe au « bon sens » et au « sentiment », au pré-mâché, est forcément bête et ennuyeux… (Barthes a écrit quelques pages définitives sur le sujet dans Mythologies).
Marie Sauvion, du Parisien, dans un article au titre moins mesuré que son contenu (« C’est quoi cette palme? »), estimait:
« Tim Burton et son jury ont décerné dimanche la Palme d’or à un film bizarre, radical, formidablement inventif pour les uns, en gros, les cinéphiles aux goûts pointu, drôlement rasoir pour les autres en gros, le reste du monde. »
Sur Europe 1, Bruno Cras trouvait que Oncle Boonmee est un film « trop pointu qui se coupe du monde ». Pour La Croix, un film « abscons filmé avec une lenteur décourageante ». Sur France Inter, Eva Bettan cachait mal sa déception. Mais la plus grosse surprise venait de Pierre Murat de Télérama, qui trouvait cette Palme « totalement inconséquente », lui reprochant d’être « réservé à des « happy few » ! »
« Ce cinéaste au nom islandais »
Curieusement, certains journalistes semblaient aussi s’inquiéter du sort commercial d’une palme qui ne les intéresse pas, lui prédisant un échec public cinglant, mais ajoutant aussitôt que ce genre de considération ne doit, bien sûr, pas entrer en ligne de compte dans un choix esthétique…
Plus surprenantes, toutes les blagues liées au nom de son réalisateur, considéré comme imprononçable, y compris sur les chaînes de télévision publiques, où chacun semblait s’être refilé la vanne de la semaine: « Apichatpong Weerasethakul, ce cinéaste au nom de volcan islandais »…
Curieuses réactions, vraiment, pour un film qui nous a plongés dans cet état d’émerveillement, de joie et de plaisir que nous procuraient les films de Disney ou La Belle et la bête de Cocteau quand nous les découvrions enfants. Alors pourquoi tant d’incompréhension ?
Certains critiques (disons plutôt « commentateurs » de cinéma, selon la belle expression forgée par le cinéaste Pierre Léon) continuent à juger le cinéma selon des critères insensés, feignant d’ignorer par exemple que l’ennui est un sentiment trop subjectif pour qu’on puisse juger une œuvre d’art à son aune.
Et puis il y aurait peut-être la peur de se couper d’un lectorat aux goûts fantasmés, et qu’on souhaite influencer avant qu’il ne pense par lui-même. Le jour de la saillie potache de ses collaborateurs énervés, sur le site du Figaro, on pouvait lire cette phrase de Charles Péguy: « Le triomphe des démagogies est passager, mais les ruines sont éternelles. »
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