Découvert il y a vingt ans sur la scène du festival Passages, le Lituanien y fête son retour avec une mise en scène détonnante de la pièce maîtresse du dramaturge russe.
C’est à l’heure où la lune se lève qu’Anton Tchekhov dédie la scène d’ouverture de La Mouette à l’avènement d’un théâtre “des formes nouvelles”. Cernée par de noirs pendrillons, la structure d’un auvent composé de caissons lumineux blancs rend hommage à cette aube incertaine. Baignés par la lumière laiteuse qu’ils diffusent, les comédiens alignés sur le plateau à jardin font face à une série de chaises où des cartons pliés portent les noms des personnages qu’ils vont interpréter.
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Ce soir, Treplev, le fils de la maison, a confié à son égérie, Nina, une jeune fille qui habite sur l’autre rive du lac, la mission de défendre son spectacle-manifeste devant sa famille et sa mère, actrice fameuse d’un théâtre voué au respect de conventions surannées qu’il déteste sans partage.
Amer retour au réel
Avec une mise en scène où il ne cessera d’aller droit au but, le Lituanien Oskaras Korsunovas se contente de la projection d’une vidéo des clapotis de la surface de l’eau du lac et de faire monter Nina sur une table, pour que la proposition soit d’autant plus convaincante qu’elle est minimaliste.
Dans des lueurs bleutées dignes d’une hallucination, la performance contamine, à la manière d’un happening, tous ceux qui se trouvent sur le plateau, avant que la mère de l’artiste ne coupe court à l’expérience, qu’elle appelle plaisanterie. Le retour au réel est d’autant plus amer que, prenant acte du pas franchi, Korsunovas fait le choix de représenter l’ensemble de la pièce dans le décor de l’œuvre avortée, et se livre à une mise à nu sans pitié de chacun des protagonistes.
Au centre de son dispositif, Martynas Nedzinskas est un Treplev d’anthologie, aussi juste dans l’incarnation de l’artiste maudit que dans celle de l’homme-enfant jamais sevré de l’amour qu’il réclame de sa mère. Armé d’un pistolet, le voici qui, après avoir raté une première tentative de suicide, se met à tirer sur tout ce qui bouge.
Un artiste disparaît
Menaçant l’amant de sa mère, il va, au comble de sa rancœur, jusqu’à transpercer, en la visant à bout portant, cette mouette en papier plié qu’il offre à Nina. C’est en coulisses qu’au final il met fin à ses jours. Sans avoir besoin d’aller vérifier ce qui vient de se passer, le médecin de la famille conclut à l’explosion d’une bouteille d’éther.
Korsunovas taille dans l’anecdotique du texte pour se contenter de cet éloge funèbre. Nous abandonnant à la violence de cette métaphore, il clôt sur la fulgurance de comparer la figure de l’artiste à un flacon rempli d’un liquide si volatil qu’il peut, si l’on n’y prend garde, disparaître pareil au claquement d’un coup de feu, en s’évaporant dans l’instant.
La Mouette d’Anton Tchekhov, mise en scène Oskaras Korsunovas, avec la troupe de l’OKT/Vilnius City Theatre, en lituanien surtitré en français, les 5 et 6 mai, festival Passages (jusqu’au 14 mai), Metz
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