L’incroyable série de Donald Glover (aka le rappeur cool Childish Gambino) invente une narration planante et politique en suivant deux cousins dans la ville phare du hip-hop.
Sans faire de bruit ou presque, Atlanta s’est imposée comme une révélation sur la chaîne FX, qui diffusait autrefois Louie et donne sa chance à cette série gracieuse, d’une liberté absolue. Son créateur Donald Glover a illuminé jusqu’en 2013 la sitcom conceptuelle Community comme acteur et sévit aussi en tant que rappeur ultra cool sous le pseudo Childish Gambino – il a sorti fin 2016 l’album Awaken, My Love !.
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Ce petit génie multicarte travaille un format en pleine émergence : la comédie aux épisodes de trente minutes qui n’est pas vraiment une comédie. Dans Better Things, Master of None (lire p. 40) et donc ici se chroniquent des vies racontées par le menu, faux départs et hoquets compris, avec comme point commun un personnage central interprété par la personne à l’origine de la série. Une manière nouvelle de travailler le “je” que la télévision prend toujours plus en main, longtemps après la littérature et le cinéma.
Migos en guest
Atlanta raconte les aventures de deux cousins. L’un est un rappeur connu sous le nom de Paper Boi (Brian Tyree Henry), qui tente de percer pour de bon. L’autre est son manager Earn (Glover lui-même), un type brillant sorti de Princeton qui semble à peu près tout faire pour ne pas récolter les fruits de son intelligence. Il vient d’avoir un enfant mais sa relation avec sa girlfriend périclite. Il lui arrive de perdre son blouson et c’est un drame.
Sans argent ou presque sous le soleil moite de Géorgie, il attend que son cousin, fricotant par ailleurs avec le deal, intéresse les fans au-delà de l’exigeant public local. La scène d’Atlanta a tout de même donné au monde, entre autres, OutKast et plus récemment Migos – ces derniers sont d’ailleurs présents en guest dans un épisode.
Tout palpite avec intensité
Pour Earn, les déceptions se succèdent, à base de coups de feu impromptus et de soirée lose avec son bébé dans le bus. Suivant le parcours chaotique de son héros avec une lenteur vénéneuse, la série invente un dispositif du regard et un rythme singuliers. Alors qu’Earn semble observer le réel d’un œil torve et désespéré, légèrement en retrait, Atlanta nous fait entrer dans sa perception, à distance de toutes les agitations.
L’émotion naît de cette distance qui n’a pourtant rien d’un abandon du monde. Au contraire, tout palpite ici avec intensité. Cela donne une fiction dérivative, un bain d’images bercé par des ambiances entre chien et loup, d’une ambition formelle et narrative rare, où des visions poétiques fugaces se mêlent sans effort à une grammaire visuelle contemporaine de Snapchat et des stories Instagram. Cela donne aussi une série politique importante.
Un point de vue neuf sur le racisme
Atlanta raconte une expérience noire, un point de vue noir (aucun personnage blanc n’est au centre du récit) et le fait avec une finesse et une intelligence supérieures. “Je voulais que les spectateurs aient peur, parce que c’est cela que l’on ressent en tant que Noir, raconte Donald Glover. Des choses géniales peuvent arriver et nous être retirées en un clin d’œil.”
La beauté et le sens de l’éphémère sont politiques quand une partie de la population ne peut pas toujours prendre en main son destin. Voilà ce que nous apprend Atlanta, qui montre avec un point de vue neuf le racisme systémique touchant les Afro-Américains génération après génération – l’attitude des hommes de pouvoir blancs est mise en accusation avec humour et férocité, dans le mémorable épisode 9 notamment.
Mais la série montre aussi l’un de ses personnages principaux en plein dérapage transphobe… avant d’être repris par une sociologue blanche qui enchaîne les clichés sur la masculinité liée au rap. Atlanta se dévoue pour observer le chaos et les contradictions du monde. Merci à elle.
Atlanta saison 1 sur OCS City à partir du 5 mai. En intégralité sur OCS Go
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