Tourné pendant la guerre du Donbass bien avant l’invasion russe, une chronique sensible du quotidien des soldats ukrainiens.
De la guerre en Ukraine, on reçoit par voie de presse chaque jour le décompte des victimes, la situation géostratégique, les négociations de paix, l’évacuation des civils, les conséquences économiques. Pour tout le reste, c’est-à-dire par exemple les supermarchés, la poste, la météo, ces questions qui ne sont pas tout à fait de l’actualité, mais qui constituent le quotidien réel d’un pays en guerre, il faut d’autres sources. Le fil Twitter de Loup Bureau en a été une ces derniers mois. Régulièrement présent en Ukraine depuis la révolution de 2014, ce journaliste de 31 ans a déjà connu plusieurs fronts de guerre mais aussi les geôles turques, et est aujourd’hui un témoin précieux du conflit.
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Son film Tranchées a été filmé en quelques mois au moment où le Donbass était encore une guerre qui n’existait pas : un front actif malgré le cessez-le-feu officiel, opposant l’armée ukrainienne aux séparatistes pro-russes sous une chape d’indifférence internationale (voir la recension du film dans le Hollywood Reporter lors de la Mostra de Venise, par un journaliste reconnaissant ne jamais avoir entendu parler du conflit). Bureau a gagné la confiance d’un groupe de soldats au point de pouvoir filmer leur quotidien dans un abri creusé sur la ligne de front, dans des tranchées de fortune évoquant forcément celles de la Première Guerre mondiale.
Passer le temps
Tranchées est filmé en noir et blanc, dans le souci de retirer à l’image ses marqueurs temporels et la rattacher à des guerres que l’on croyait révolues : le procédé est simpliste, ne fonctionne pas vraiment, mais donne quand même une certaine majesté aux soldats. Son corollaire en revanche, des séquences en couleur prises lors des permissions et des échappées en ville pour oublier la guerre le temps d’une fête, n’est pas moins simple, mais produit un effet plus fort : les jeunes hommes semblent soudain s’extirper de la fiction de la guerre, s’évaporer des Sentiers de la gloire et ressusciter comme par magie dans la vie de danse et de boisson dont l’Histoire les prive.
Le film, surtout, s’attache à ce que l’on fait le plus sur une ligne de front : passer le temps. Jeux vidéo (des simulations de guerre, évidemment), coiffure, de temps en temps un échange de tir, creuser, encore et encore, à la pioche et à la pelle, ces travées infinies qui serpentent dans le no man’s land, et puis parler.
On en apprend en réalité peu sur le conflit, mais beaucoup sur cette question qui taraude beaucoup de monde en Europe depuis que ces voisins immédiats voient déferler sur eux une guerre qu’ils croyaient aussi impensable que nous : comment fait-on la guerre quand on a jamais connu, jamais imaginé une chose pareille ? À quoi pense-t-on ? Comment envisage-t-on la mort ? Il y aura évidemment autant de réponses que de soldats.
Tranchées de Loup Bureau, en salle le 11 mai
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