La vie d’une star américaine venue à Paris pour se lancer dans le cinéma d’auteur. Le réalisateur français réadapte superbement son œuvre elle-même remake d’un film de 1915.
En 1996, Olivier Assayas dévoilait à travers Irma Vep une double passion : pour l’œuvre de Louis Feuillade, pionnier français du cinéma et auteur de merveilleux serials, dont Les Vampires (1915), et pour la femme qui allait devenir son épouse, Maggie Cheung. Dans le film, la star hongkongaise incarnait Musidora/Irma Vep, légendaire figure de cinéma en combinaison de latex noir.
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Aimer le cinéma, aimer une personne. Tout cela circulait et se répondait dans cet objet étrange et réflexif, récit expérimental du tournage difficile d’un remake des Vampires dirigé par Jean-Pierre Léaud. Vingt-six ans plus tard, le remake du remake a lieu en série pour HBO, entièrement écrite et réalisée par Assayas.
On ne peut pas dire que le réalisateur de Clean ou encore Sils Maria ait choisi la facilité. Car répétition n’est pas imitation. À Paris, de nos jours, une star américaine prénommée Mira (vous avez l’anagramme ?), jouée par Alicia Vikander, vient expérimenter le cinéma d’auteur à la française auprès de René Vidal (Vincent Macaigne), cinéaste sous tranquillisants aux angoisses malgré tout débordantes.
Raconter les coulisses de la création
C’est le premier angle d’Irma Vep : huit épisodes pour raconter les coulisses de la création sur un plateau de tournage, entre satire et déclaration d’amour. Assayas, qui s’est inspiré des mémoires de Musidora, filme le ballet des assistant·es, technicien·nes, comédien·nes avec l’œil acéré de celui qui a consacré son quotidien depuis trois décennies à trouver les points de rencontre entre l’art et la vie.
La costumière et la première assistante à la réalisation – géniales Jeanne Balibar et Nora Hamzawi – gèrent les acteurs et actrices (notamment Vincent Lacoste, délicieusement ronchon) et alimentent la comédie. Car Irma Vep, plus que le film dont elle est inspirée, s’impose comme une fresque sautillante, parfois burlesque, prompte aux changements de ton.
Le plaisir consiste à faire défiler les couches de récit et d’images entre l’action principale, le film-feuilleton en train d’être tourné dont on voit les rushes en direct et des extraits en noir et blanc muet des Vampires de 1915, comme pour créer un lien avec une idée originelle de la mise en scène.
Plutôt que d’asséner ses vérités de cinéaste sachant, Olivier Assayas convoque l’autodérision
Assayas s’est toujours montré critique avec le régime visuel contemporain, phagocyté par le marketing et l’imaginaire publicitaire. Il n’est pas fan de séries. Il trouve ici la parade pour aimer son époque, se plonge avec délice dans un bain hybride. Plutôt que d’asséner ses vérités de cinéaste sachant, il convoque l’autodérision – Vincent Macaigne caricature son élocution traînante – et propose quelques saillies théoriques, comme cette discussion savoureuse du troisième épisode sur la nature de ce que nous regardons.
Film ou série ? Telle est la question. Les personnages ne tranchent pas, Assayas a son avis, mais la fiction, elle, résiste au schématisme. Et il la laisse résister. Telle est la leçon d’humilité qui se joue. L’époque est plus que jamais au conflit sérieux entre l’art et le commerce, débat éternel renforcé par la domination des plateformes.
Mais face à l’écran, inutile de choisir le camp du cinéma ou de la télé : nous sommes laissé·es tranquilles avec notre plaisir devant une narration galopante où de nouveaux personnages apparaissent sans cesse, où le plaisir du feuilleton à la fois old school et actuel se déploie avec souplesse.
Portrait en mouvement de jeunes femmes du XXIe siècle
Souplesse du récit, souplesse de l’héroïne à laquelle Alicia Vikander, ancienne ballerine à Stockholm, donne un corps et une attitude déliés. À travers elle, Assayas poursuit son portrait en mouvement de jeunes femmes du XXIe siècle. On pense à son travail avec Kristen Stewart – Personal Shopper, Sils Maria. La Suédoise s’y prête de bonne grâce, avec un fond d’ironie fascinant.
Il y a quelque chose d’ample et de joueur dans Irma Vep, au sens romanesque du terme. Et aussi une propension à l’autobiographie plus frontale que d’ordinaire chez Assayas. C’est la dernière couche, la plus paradoxale car proche de l’impudeur.
Une référence à la fin de sa relation avec Maggie Cheung donne un fond de mélancolie apaisée à l’ensemble. S’y ajoute une vigueur formelle et thématique franchement réjouissante. Assayas a trouvé la formule pour filmer ses regrets – des images d’avant, des êtres aimés – sans avoir perdu ses illusions d’artiste.
Olivier Joyard
Irma Vep d’Olivier Assayas, avec Alicia Vikander et Jeanne Balibar, Vincent Lacoste, Vincent Macaigne. Sur OCS à partir du 7 juin.
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