Le 1er mai, l’actrice sera centenaire. Pour l’occasion, un livre et une rétrospective célèbrent celle qui fut une star du cinéma dès l’âge de 14 ans.
“La chose qui m’a le plus surprise, c’est d’avoir passé l’an 2000. Je repense à ce jour où j’avais 18 ans, je me regardais dans une glace. J’étais une jeune actrice, déjà une vedette. C’était le milieu des années 1930. Je pensais à l’an 2000 et je me disais que je serais morte depuis longtemps. Ça me paraissait impossible de m’imaginer vivante à 83 ans. Maintenant, il faut que je me dise non seulement que c’est arrivé, mais que depuis sept années ont encore passé !”
Dix-sept, maintenant. C’était en effet en 2007, alors que nous la rencontrions pour la sortie de L’Heure zéro de Pascal Thomas, que Danielle Darrieux nous faisait cette confidence. L’actrice pouvait-elle imaginer que, dix ans plus tard, elle serait encore de ce monde, prête à fêter le 1er mai prochain son centième anniversaire ?
Plusieurs actualités viennent célébrer ce centenaire. D’abord une rétrospective de dix de ses films à la Filmothèque du Quartier latin. Possiblement guidée par des questions de droit et de disponibilités des copies, la sélection des films n’est qu’à demi-convaincante. Certes, elle compte les deux rôles les plus mythiques de sa carrière : son interprétation poignante d’une prostituée en week-end champêtre dans Le Plaisir et son étourdissante prestation de coquette foudroyée par l’amour, basculant de la frivolité à l’anéantissement, dans Madame de, deux chefs-d’œuvre immémoriaux signés Max Ophüls.
Une carrière hors proportions
On regrette en revanche de ne trouver dans cette programmation aucune trace de la carrière hollywoodienne de l’actrice (qui comprend tout de même le grandiose Affaire Cicéron de Mankiewicz), ni ses chefs-d’œuvre tardifs avec Jacques Demy (Les Demoiselles de Rochefort, Une chambre en ville), ni aucune des trépidantes comédies des années 1930 qui ont fait d’elle, à moins de 20 ans, la Katharine Hepburn française.
Une autre rétrospective se tient au Grand Action, de sept films seulement, mais qui comprend en revanche Premier rendez-vous d’Henri Decoin et aussi le superbe En haut des marches de Paul Vecchiali ou encore le délicieux Jour des rois de Marie-Claude Treilhou. Les projections sont assorties de conférences des enseignantes en cinéma Genevieve Sellier et Gwenaelle Le Gras – lesquelles interviennent aussi au colloque universitaire consacré à la comedienne du 3 au 5 mai à l’université Montaigne de Bordeaux. Signalons enfin que chaque projection de film au Grand Action est précédée d’un court-métrage d’Emmanuel Vernières, Tournons ensemble Mlle Darrieux, dans lequel l’actrice joue sa partition au téléphone (sans apparaitre à l’image donc). Tourné en 2016, cet amusant hommage est donc statutairement le dernier film de Darrieux (à ce jour).
Un nouveau livre retrace de façon très scrupuleuse la carrière hors proportions de l’actrice, probablement la plus longue et l’une des plus riches de l’histoire du cinéma. Du Bal, qui en 1931 fait de Darrieux une teen-star de 14 ans, à la comédie Pièce montée (2010), après laquelle elle abandonne le cinéma, l’universitaire Clara Laurent analyse film après film, en s’appuyant sur une documentation très fournie (articles d’époque, citations…), de quelle image de la féminité l’actrice est porteuse.
Une profonde nouveauté de jeu
“Une femme moderne”, c’est ainsi que l’auteur envisage la comédienne, en distinguant des avatars successifs de cette modernité : la jeune fille affranchie qui brusque les hommes, puis la femme middle age à l’émancipation plus réfléchie et cernée de tragique, jusqu’à la mamie criminelle de 8 femmes (Ozon, 2002).
Si l’analyse est d’une grande précision historique et sociologique, on aimerait aussi que Laurent y joigne une étude plus profonde des ressorts qui font de Darrieux non seulement une femme, mais aussi une actrice moderne, dont la profonde nouveauté de jeu, hybride d’underplaying, de pure photogénie et de génie de l’ambiguïté, a irrigué, d’Ophüls à Téchiné, de Demy à Vecchiali, certaines des aventures esthétiques les plus exaltantes du cinéma français.
rétrospective dix films à La Filmothèque du Quartier latin, Paris Ve. Sept films au Grand Action, Paris Ve
Colloque Danielle Darrieux, la traversée d’un siecle, du 3 au 5 mai à l’université Montaigne, Bordeaux
livre Danielle Darrieux – Une femme moderne de Clara Laurent (Hors Collection), 400 pages, 19 €