Pépinière de l’indie rock implantée à Paris, Howlin’ Banana Records a célébré ses dix ans cette année avec TH da Freak, Johnnie Carwash et Fontanarosa au Point Éphémère (Paris X) le samedi 7 mai. Rencontre avec Tom Picton, son fondateur.
À l’aube des années 2010, c’est dans une tête où il n’y a “pas grand chose” (on ne le croit pas) que germe l’idée d’un label rameutant les groupes de garage rock made in France qui fleurissent en masse à l’époque. Avec un flair frétillant et des oreilles aiguisées, Tom Picton s’apprête désormais à souffler les dix bougies de Howlin’ Banana Records, qu’il pilote seul (ou presque) depuis ses prémices. En une décennie, l’écurie s’est mue en un véritable repaire de friandises indés, desserrant l’étau du garage pour mieux moissonner la scène shoegaze, psyché voire indie pop de l’Hexagone.
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De son premier stage dans un label anglais aux signatures estimées de la fine fleur du rock indé (Cathedrale, Hoorsees, We Hate You Please Die en tête), en passant par les soirées Psychotic Reaction (un hommage à peine dissimulé au pionniers du garage rock Count Five), l’intérêt des disquaires et son exaltation de l’éthique D.I.Y., Tom Picton revient sur le parcours du label à la banane qui hurle. Rencontre.
Quand tu as lancé Howlin’ Banana il y a dix ans, qu’avais-tu en tête ?
Tom Picton – Pas grand chose ! Je l’ai monté sans savoir où j’allais. À la fin de mes études de musique, j’ai fait un stage chez Dirty Water, un label en Angleterre. J’avais envie de me faire la main en bossant sur des projets auxquels j’étais attaché. J’ai réfléchi à faire un webzine, à organiser des tournées et, finalement, c’est le label qui me semblait le plus logique. Les catalogues de labels, c’est un truc qui me passionne depuis longtemps. J’écoutais beaucoup de musique comme ça, en regardant sur les pochettes de disques à quelle maison de disques ils appartenaient puis en checkant sur MySpace ou Bandcamp la constellation de groupes qu’il y avait autour.
Quels labels t’ont inspiré ?
Goner, BOMP! ou encore Dirty Water en Angleterre et Soundflat en Allemagne. Essentiellement des labels de garage. À l’époque, c’est ce que j’écoutais le plus.
Cette scène garage rock du début des années 2000 était plutôt tournée vers un revival du garage des sixties.
Complètement ! Soit c’était du revival des années 1960, soit des années 1980 qui était lui-même déjà repris des années 1960. Bref, le garage est ancré dans les sixties. C’est dans les années 2010 que le cadre s’est ouvert avec Ty Segall ou Osees.
Quand tu montes Howlin’ Banana en 2012, tu signes des groupes de garage beaucoup plus modernes comme Kaviar Special, Dusty Mush ou encore Travel Check. En quoi voulais-tu donner de la visibilité à cette nouvelle scène ?
Les premières sorties du label suivaient encore ce revival du garage. C’est en effet à partir de Kaviar Special, Volage ou Travel Check que j’ai signé des groupes qui s’en détachaient. À l’époque, on manquait de labels pour relayer cette nouvelle vague. Quand j’ai monté Howlin’ Banana, c’est donc allé très vite. Tu signes un, deux, trois groupes de cette scène puis d’autres commencent à t’envoyer leurs démos. Le garage des années 2010 s’est beaucoup développé à Rennes parce que Kaviar Special a eu une belle résonance là-bas. Les Madcaps et Baston ont suivi. À Paris, c’était Dusty Mush.
D’autres labels ont fleuri en même temps que le tien ?
Oui ! Requiem Pour Un Twister ont commencé juste avant. Il y en avait d’autres comme Has Been Records, qui se sont arrêtés depuis, ou Gone With The Weed et Teenage Menopause. Début 2010, on a tous·tes monté des labels. Il y avait une confluence entre Internet, qui rendait les choses beaucoup plus simples, et une floraison de groupes, car beaucoup de jeunes accédaient à de la musique qu’ils ne pouvaient pas écouter avant. Aux États-Unis, Burger Records a été un modèle avec son côté D.I.Y. en mode petite boîte à l’arrache qui monte un projet prenant de l’ampleur. En France, Born Bad Records avait déjà pas mal d’écho aussi.
Tu évoquais Requiem Pour Un Twister et c’est justement avec le boss de ce label, Alexandre Gimenez, que tu organisais les soirées Psychotic Reaction à l’International en 2013.
Exactement. On a fait ça pendant deux ou trois ans. C’était une fois par mois et c’était gratos. On a fait venir quelques groupes étrangers mais on cherchait surtout à défricher la scène française sur le plan garage, shoegaze et psyché.
C’est comme ça que l’International est devenu un lieu clé pour Howlin’ Banana ?
En effet, il y a une dizaine d’années, je passais beaucoup de temps là-bas. Mais j’organisais aussi plein de soirées à la Mécanique ondulatoire et à l’Espace B, qui sont vraiment des lieux où le label s’est construit.
En dix ans, comment ont évolué ces lieux parisiens qui ont forgé la scène garage ?
Malheureusement, beaucoup ont fermé… L’Espace B a fermé. La Méca ne fait plus de concerts. Ceci dit, d’autres lieux comme le Point Éphémère, la Boule Noire ou Petit Bain fonctionnent toujours très bien et ont aussi joué un rôle assez important pour les groupes de l’époque. Mais, aujourd’hui, on est sorti du délire garage. Il y a beaucoup plus de post-punk, de shoegaze, d’indie pop et d’indie rock un peu lo-fi inspiré des nineties.
Ton label évolue aussi en fonction de ces nouvelles mouvances. Tu as signé des groupes plus punk comme Johnnie Carwash, des groupes plus nineties comme Hoorsees et même des groupes d’indiepop comme Brace! Brace! À quel moment as-tu ressenti la nécessité d’ouvrir ton label à d’autres genres ?
Mes habitudes d’écoute ont évolué. À un moment, quand tu sors du garage depuis trois ou quatre ans, ça devient difficile de dénicher des groupes qui ont encore quelque chose à apporter à ce genre. Je me souviens avoir reçu un disque de The Soap Opera qui était de l’indie pop pure et dure inspirée des années 1980. Ça n’avait rien à voir avec ce que j’avais fait jusqu’ici. Pourtant, j’ai pris du plaisir à le sortir. Pareil pour Brace! Brace! dont j’ai reçu le premier EP orienté indie pop dès le début du label. J’hésitais à sortir ce disque car j’étais encore très ancré dans le garage. Mais j’y revenais sans cesse ! Finalement, j’ai pris conscience que je n’avais pas monté un label pour m’imposer des limites et me retrouver bloqué dans une case. En plus, la sortie de ce disque a très bien marché. Je me suis rendu compte que je m’amusais beaucoup plus à ouvrir cet horizon et à sortir des disques que j’aime bien.
Tu fonctionnes uniquement aux coups de cœur ?
Oui, uniquement. Globalement, le lien entre tous les groupes du label, ce sont les guitares. Même s’il y a d’autres instruments, elles restent centrales dans la composition. Mais, d’une part, j’aime bosser des esthétiques variées. D’autre part, mon public est prêt à écouter des choses différentes. Les gens m’achètent autant du We Hate You Please Die que du Brace! Brace!. Mes goûts évoluent et les signatures évoluent avec. Quand je signe un groupe, c’est uniquement sur la base de leurs morceaux. Les questions de vente viennent plus tard. Je n’y pense absolument pas au moment de l’écoute du disque. Le facteur entre en jeu aussi. Je m’entends très bien avec tous les groupes du label.
D’ailleurs, tu suis des groupes comme TH da Freak ou Baston depuis leurs débuts.
Oui, carrément car j’aime bien bosser très tôt sur des disques, même si c’est casse-gueule au départ avec les premiers EP. Il n’y a pas d’exclusivité sur plusieurs disques chez Howlin’ Banana. Donc on bosse disque après disque et, en général, les groupes reviennent toujours. C’est très cool ! Tu construis une relation sur le long terme et une amitié aussi. Tu te connais de mieux en mieux donc c’est d’autant plus agréable et plus simple de bosser avec tous ces groupes.
Comment parviens-tu à les fidéliser ?
Je ne fais pas d’effort pour les fidéliser. Je bosse toujours de la même façon et quand ils reviennent, c’est parce qu’ils en sont contents. À la fois, rien ne les enferme sur le label. C’est bon signe. Je me suis toujours dit que Howlin’ Banana était un label de groupes plutôt qu’un label de disques. Ce n’est pas juste un catalogue de pochettes de disques mais vraiment une écurie de groupes. Je suis toujours dans cette perspective de bosser sur le long terme. C’est pas parce que le disque est sorti il y a deux mois que j’abandonne le groupe. Je travaille à long terme sur la promo, le développement, le fait de les entourer et les accompagner. Il n’y a jamais vraiment de coupure. C’est un boulot parsemé de disques mais c’est une seule relation de travail qui s’étale sur des années.
Cathedrale, Hoorsees ou encore We Hate You Please Die ont acquis une certaine notoriété dans le milieu. As-tu le sentiment d’avoir légitimé cette scène ?
Je n’ai pas assez de recul pour ça. Je vois surtout que les groupes s’entourent beaucoup plus vite en terme de tourneur et d’éditeur. Ils vendent plus vite des quantités importantes sur un premier disque. Ils sont plus vite relayés par la presse. Quelque chose a changé. Il y a plein d’autres labels. Globalement, je pense que la scène rock indé en France a gagné en exposition. Ça se ressent forcément sur les groupes de Howlin’ Banana. Mais je n’arrive pas à mesurer quel apport j’ai réellement là-dedans.
Ta participation à cette scène est essentielle, que ce soit en matière de promo, d’accompagnement ou de distribution. Comment fonctionne concrètement ton label ?
Je suis toujours tout seul pour gérer la direction artistique, la logistique, la gestion des pressages et même la promotion. Au fil du temps, je me suis quand même bien entouré avec des attaché·es de presse, des tourneur·euses et des distributeur·trices. Je bosse notamment avec le distributeur Modulor depuis 2012 ou 2013. Ce sont des gens avec qui j’apprends énormément. Mais je fais encore beaucoup de choses par moi-même. Par exemple, la promo. J’aime bien écrire aux médias et échanger sur les disques.
Ça te permet d’obtenir directement des retours ?
Oui et ça engage une discussion sur le disque. Quand tu vends des disques, en magasin ou en ligne, on ne te fait pas toujours un retour pour te dire ce que l’on en a pensé. Alors qu’en passant par les critiques, tu as une analyse personnelle. C’est hyper important pour moi car je me sens pas très légitime dans mes choix artistiques. C’est en lisant des critiques que je me dis “ça va, les gens aiment bien” !
Et quels médias lis-tu ?
De tout, en papier et en web. Je ne lis pas que les chroniques de mes disques. Je vais essentiellement lire Section26, La Face B, Les Inrocks, Rock&Folk, La Vague parallèle, Sounds Goes Out et bien d’autres. J’ai toujours beaucoup lu la presse spécialisée. J’ai grandi en Picardie et il n’y avait pas grand chose à faire. J’achetais Rock&Folk, Rock Sound puis Magic. C’était mon premier lien avec la musique.
La presse, et particulièrement les webzines, ont-ils contribué à offrir de la visibilité à ton label ?
J’ai un tel intérêt pour la presse musicale que je tiens vraiment à faire la promo de mes groupes auprès des médias, même quand il y a un·e attaché·e de presse sur le projet. Forcément, au fur et à mesure, le label a gagné en exposition. Mais j’ai toujours envoyé mes disques à la presse en mettant tout le monde au même niveau, du plus petit blog aux grandes publications.
Pour revenir sur le fonctionnement du label, que signifient les circuits de distribution alternatifs pour toi ?
En soi, ce sont les mêmes circuits que des acteurs plus importants parce que j’ai aussi certains disques distribués à la Fnac, chez Leclerc ou sur Amazon. Mais je passe par un distributeur qui ne bosse que de l’indé. Ça signifie qu’il ne va pas amener les disques de la même façon auprès des directeurs de rayon ou des disquaires. Il amène vraiment un catalogue de niche qui n’est pas promu par les mêmes réseaux. Les disquaires repèrent les groupes et les labels et on forge une relation à long terme.
Tu bosses essentiellement avec des disquaires indépendants ?
C’est mon point de distribution principal car les disquaires indé connaissent le label et son produit donc ils le mettent en avant. Parfois, je passe à la Fnac et je tombe sur un Kaviar Special ou un TH da Freak noyé au milieu de plein d’autres trucs dans un bac étiqueté “variété internationale”. Ils ne sont pas du tout valorisés. Sauf dans la ville d’origine du groupe où le patron du rayon va les avoir mis en avant sur un petit présentoir. Mais c’est compliqué d’être exposé dans la grande distribution.
À travers la dernière décennie, comment perçois-tu l’évolution des formats physiques comme la cassette, le CD et le fameux retour du vinyle ?
Le retour du vinyle pour les indés, c’est un peu un mirage. On parle de retour de ce format car les majors et la grande distribution s’y sont remises. Mais chez les indés, le vinyle n’a jamais disparu. Ce qui a donné cette impression de retour, c’est vraiment le volume considérable produit par les majors pour éditer soit leur catalogue de fond, soit des sorties actuelles importantes comme Adele pour qui ils ont édité 2,5 millions de copies vinyles, me semble-t-il. Forcément, ça fait exploser les chiffres. Mais ce n’est pas chez les indés que les ventes ont augmenté. Au contraire. Il y a un recul lent et progressif des ventes.
Ce recul des ventes de disques est aussi lié à l’avènement des plateformes de streaming.
Complètement. C’est aussi pour ça que le revival du vinyle est un mirage. Je serais curieux d’avoir accès aux statistiques d’âge de gens qui consomment du vinyle en masse aujourd’hui. J’imagine qu’ils ont plus de 35 ou 40 ans et qu’ils peuvent se le permettre, car les prix explosent à cause du Covid-19 et des majors qui pressent en masse alors que les matières premières diminuent. Si tu vas dans des lycées observer comment les jeunes écoutent de la musique, je pense que le pourcentage de celleux qui achètent des vinyles est infime. Pourtant, ce sont ces gens-là qui achèteront potentiellement du vinyle dans dix ou vingt ans. Et je pense qu’iels ne le feront pas. C’est une habitude qui se perd, même dans les niches.
Les plateformes de streaming ont-elles redéfini ta manière de distribuer ta musique ?
Pas forcément. Disons que les enjeux sont différents. Par exemple, la prescription se fait davantage par les playlists aujourd’hui, donc on pitche les plateformes pour que nos groupes les intègrent. Il y a dix ans, les playlists n’étaient pas du tout quelque chose que les labels et les groupes visaient. Certaines playlists sont même destinées aux indés. Elles sont un peu moins vues mais tu peux y choper des artistes poussé·es par la presse spécialisée. Ça change notre façon de travailler sur le web mais pas vraiment sur le format physique.
Finalement, sur le web, le véritable repaire indé reste plutôt Bandcamp.
Oui, c’est l’outil le plus adapté pour les labels indés. Ça a remplacé MySpace en matière de découvertes. Le public dénicheur sur Internet va sur Bandcamp. Quand j’ai monté le label, j’écoutais encore pas mal de musique sur MySpace. Ça ne me rajeunit pas trop ! Mais Bandcamp était déjà là. Cette plateforme fonctionne parce qu’au-delà de partager ta musique en streaming très facilement, tu peux ouvrir des boutiques de merchandising avec autant de simplicité pour vendre des disques, des tee-shirts et autres.
Que t’apporte l’indépendance ?
La liberté artistique. Je suis totalement bénévole sur le label et je l’ai toujours été. Je n’ai aucun coût fixe donc le label s’autosuffit. Il y a des sorties qui fonctionnent, d’autres pas et la balance s’équilibre. Ça me permet de faire des choix décorrélés de toute idée de rentabilité. Je signe un groupe parce que j’aime leur musique. Si je sais que le disque ne va pas fonctionner, j’en fais peu mais je le fais parce que je sais que j’ai d’autres sorties qui marchent mieux. Ça me permet de prendre des risques constamment et de n’avoir aucune barrière artistique.
Et qu’est-ce qu’on écoute en ce moment chez Howlin’ Banana ?
La dernière sortie en date, c’est Hoorsees avec A Superior Athlete, leur second album. Je suis très content ! La sortie suivante sera le nouvel album de Baston prévu pour 13 mai. C’est vraiment un groupe pas comme les autres car ils foutent pas grand chose entre deux albums ! (rires) Ce n’est pas du tout un groupe carriériste. Ils ont un taf à côté donc ils font de la musique pour le plaisir. Ils enregistrent un putain d’album et ils le sortent. Puis, ils hibernent jusqu’au prochain. Ce sont des gens très drôles et très cool avec qui je travaille depuis leurs débuts vers 2013. En ce qui concerne les nouvelles signatures, je bosserai avec Cosmopaark l’année prochaine. Pour le reste, c’est encore un peu tôt pour en parler. En tout cas, c’est toujours important pour moi de signer des nouveaux groupes car ça met des énergies différentes dans le label.
Propos recueillis par Juliette Poulain.
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