De la guerre d’Espagne à la Seconde Guerre mondiale, en passant par des reportages sur l’IRA ou la Révolution russe, Joseph Kessel a arpenté nombre de conflits. Un volume réunit des textes choisis.
Joseph Kessel est assurément l’écrivain français dont l’œuvre évoque au plus près l’univers d’Hemingway. Contemporains, ils ont fait les mêmes guerres, tous les deux volontaires. Ils avaient l’un et l’autre une double passion pour les champs de bataille et les bars. On se souvient qu’Ernest Hemingway avait demandé au général Leclerc, en juillet 1944, des jeeps et des hommes pour entrer dans Paris afin de libérer le bar du Ritz…
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Plus précisément, il semblerait que Kessel ait possédé toutes les caractéristiques des personnages masculins des romans d’Hemingway ; à la fois grande gueule et laconique, fort, courageux et plein d’une curiosité passionnée pour les femmes. Moins poseur qu’un Curzio Malaparte, moins politique qu’un André Malraux, moins idéologue qu’un Vassili Grossman, il aura désiré rendre compte des conflits à hauteur d’homme.
On garde de lui l’image d’un baroudeur s’embarrassant peu de dénouer la trame géopolitique des conflits dans lesquels il plonge corps et âme. Il s’attache à quelques personnages qui lui accordent leur confiance et qui le guident dans le quotidien des guerres.
Est-ce à dire que Kessel fut un écrivain sans engagement ? Non. Son premier grand reportage en Irlande, en 1920, sera l’occasion de défendre explicitement la cause des sinn-feiners. Il se montre ému par les récits de la guerre d’Indépendance, par la répression de l’insurrection de 1916. S’il n’interprète pas d’un point de vue politique, il n’en juge pas moins selon une perspective que l’on pourrait dire sentimentale. Kessel est un homme de sensation et de sympathie.
Lorsqu’il débarque à Haïfa en 1926, il se découvre tout aussi bouleversé par les enjeux religieux et politiques du sionisme que par le parfum des orangers en fleurs. La guerre est pour Kessel le romancier l’objet d’une curiosité profonde et insatiable. Elle est également, pour Kessel le journaliste, la matière première d’une industrie fructueuse. Une industrie de la presse sans commune mesure avec ce qu’elle est devenue, et au sein de laquelle la signature de Kessel vaut de l’or, et se recrute à ce prix. Certains des journaux auxquels il collabora se vendaient souvent à plus d’un million d’exemplaires… Kessel suit donc l’actualité au son du canon.
En octobre 1918 est formée une unité d’aviateurs volontaires pour la Sibérie. Kessel, sous-lieutenant d’à peine 20 ans, n’hésite pas. Il embarque à Brest, destination Vladivostok. Ce qu’il trouve là-bas n’est pas la guerre. La guerre, il la rate. Mais ce qu’il découvre, la folie d’un monde bouleversé par la révolution, une ville tenue par les Cosaques, l’apocalypse chaque nuit au cabaret L’Aquarium, une ancienne caserne renfermant six mille prostituées, un univers hystérique en constante accélération vers la désagrégation, Kessel nous le livre comme un récit de guerre.
Cela s’intitule Les Temps sauvages (1975), et ce beau roman atteste que, pour l’auteur de L’Armée des ombres, la guerre est une catégorie à part entière du récit d’aventures. Cette édition propose un choix de textes ample et généreux. Peut-être eût-il mieux fallu y trouver Le Bataillon du ciel en place des Mains du miracle. Mais l’ensemble peut permettre de répondre à une question que se posa Camus au sujet des Camarades d’Erich Maria Remarque : “Une grande expérience vécue peut inspirer une œuvre forte. Elle ne crée pas pour cela un écrivain.” Dans le cas de Joseph Kessel, un écrivain est né de cette confrontation avec le monde.
Ecrivain et critique, Jean-Yves Jouannais donne une fois par mois une conférence autour de la guerre, “L’Encyclopédie des guerres”, par entrées alphabétiques. Prochaine séance le 20 mai à 19 h 30 au Centre Pompidou, Paris IVe, petite salle, niveau –1. Entrée libre.
Reportages, romans, sous la direction de Gilles Heuré (Quarto Gallimard), 1 280 pages, 27,50 €
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