Pour écrire un best-seller, il suffit de prendre exemple sur “L’Affaire Alaska Sanders”, la nouvelle bonne affaire Joël Dicker. Un modèle du genre.
Non, ce n’est pas un bon livre. Mais c’est un vrai best-seller : L’Affaire Alaska Sanders s’est incrusté à la première place des ventes de livres toutes catégories confondues, dépassant même le manga Jujutsu Kaisen – T. 14 : Le drame de Shuibuya : le bien et le mal de Gege Akutami.
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Best-seller donc, dans le sens qu’il s’en vend des caisses, mais aussi best-seller comme genre littéraire à part entière, tant ces grosses machines (généralement pas moins de 500 pages, obéissant à une forme de mécanique), qu’elles soient écrites par Ken Follett ou Dan Brown, relèvent des mêmes procédés, et du même but : tenir les lecteur·rices en haleine. Les rendre addict. Leur faire tourner les pages.
Un page turner de plus
L’Affaire Alaska Sanders est un modèle du genre car à la façon du chaudron magique de Harry Potter, son auteur y recycle et mélange tous les éléments qui ont fait le succès de ses prédécesseurs et des séries télé, pour nous resservir, comme le ferait un algorithme, ce qui a séduit les lecteur·rices et téléspectateur·rices. Rien d’original ici, rien que du déjà vu – et puisque c’est ce qui marche, pourquoi s’embêter ? Cela facilitera d’autant plus la tâche de tout apprenti romancier qui veut faire fortune sans avoir à challenger Joyce ou Proust.
C’est facile : il faut tout faire comme Joël Dicker. Des chapitres courts, des effets de surprise à chaque fin de paragraphe, des personnages stéréotypés (le flic bourru au grand cœur, un autre enquêteur en parallèle, héros solitaire et sympathique – ici l’écrivain), des scènes stéréotypées (ça commence toujours par une femme morte, vous avez remarqué ? Et toujours le corps violenté, torturé, dépecé – ici, à moitié dévoré par un ours), des lieux stéréotypés (la petite bourgade américaine, par exemple – de toute façon, c’est ça ou le Louvre), un style stéréotypé donc absent (“Le lendemain, je retrouvai Lansdane dans un café du centre-ville de Concord pour lui faire part de ma découverte.”), et même des absurdités stéréotypées (“Comme j’étais couché et que je tenais le massage les bras tendus vers le plafond, je finis par le placer involontairement face au plafonnier. Une inscription se révéla alors en transparence de l’une des lettres.” Et ça continue).
Mais ce qu’il faut retenir absolument de L’Affaire Alaska Sanders – on le répète : pour ceux qui veulent écrire un best-seller, pas de la littérature –, c’est son plan. Il faudrait s’en servir comme on se sert d’un patronage en couture. Pour tenir son lecteur en haleine, Dicker joue des va-et-vient entre différentes temporalités (afin de retrouver le héros de son premier succès en 2012, La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, dont Alsaka s’impose comme la suite). Voici comment le livre se découpe dès son début :
– La veille du meurtre, vendredi 2 avril 1999 (2 pages) ;
– Prologue. À propos de ce qui se passa en 2010 (2 pages) ;
– Le jour du meurtre. 3 avril 1999 (2 pages) ;
– Extrait du rapport de police (2 pages) ;
– Chapitre 1. Après l’affaire Harry Québert. 5 avril 2010. Début (6 pages) ;
– Trois mois plus tôt. 31 décembre 2009 (3 pages) ;
– Le jour du meurtre. 3 avril 1999 (4 pages) ;
– Chapitre 2. Souvenirs. 6 avril 2010.
Et ainsi de suite, jusqu’à la page 569. Ça donne le tournis, mais peu importe : ça marche. Suivez le patron, changez juste les dates et les lieux (et encore, personne ne s’en souviendra de toute façon), et vous avez déjà la base. Le reste ? Ce sera du pur commerce : après le décès de Bernard de Fallois, son éditeur, Joël Dicker a créé sa propre maison d’édition, Rosie & Wolfe. Tous les bénéfices de cette affaire, et ils sont énormes, vont à lui.
L’Affaire Alaska Sanders, en libraires.
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