Notre reporter était présent à la soirée électorale du président de la République, réélu avec 58, 2 % des voix contre la candidate du Rassemblement national (RN) Marine Le Pen. Récit d’une soirée à l’arrière-goût amer, tandis que l’extrême droite bat des records dans les suffrages et que l’abstention est à son plus haut niveau depuis la présidentielle de 1969.
Que retiendrons-nous de cette élection présidentielle 2022 ? Un nom, peut-être : Vanetty. Le DJ parisien avait la lourde tâche de faire croire que le dimanche 24 avril, date de la réélection d’Emmanuel Macron face à une candidate d’extrême droite (dépassant pour la première fois la barre des 40 % des suffrages), était un jour de fête. Pourtant, dès l’annonce des résultats, à 20 h, passé le soulagement de ne pas voir s’afficher le visage de Marine Le Pen, on est déjà ailleurs, la tête dans la cuvette. Sans l’ivresse, la France a hérité d’une gueule de bois carabinée et le Président nouvellement élu d’un état sans la grâce.
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Il est 17 h quand on débarque au croisement de l’avenue Rapp et de l’avenue de La Bourdonnais, dans le 7e arrondissement parisien. C’est ici, à mi-chemin entre la tour Eiffel et l’École militaire, que les journalistes accrédité·es à la soirée électorale de la majorité présidentielle sont prié·es de se rendre. Dans la queue, on parle italien, espagnol, anglais, d’autres langues, sans doute. Le dénouement de ce second tour, dont on sait alors qu’il est favorable à la candidate du Rassemblement national (RN) dans les Antilles et en Guyane, intéresse : malgré les sondages, qui donnent le candidat à sa propre réélection gagnant, peut-on assister à une issue à la britannique ou à l’américaine, quand, en juin et en novembre 2016, le Royaume-Uni vota en faveur du Brexit et que le collège électoral US fit de Donald Trump le 45e président des États-Unis ? C’est le scénario bis, celui que, de Kiev à la Cour nationale du droit d’asile, en passant par les morts enterrés au Panthéon, tout le monde redoute.
“Plutôt confiant”
18 h 25, on sait de source sûre qu’Emmanuel Macron est à l’Élysée. Plus tôt dans la journée, le Président votait dans son fief du Touquet et prenait un dernier bain de foule avant de regagner la capitale. Il ne devrait pas bouger de la résidence présidentielle avant les résultats, annoncés officiellement à 20 h, même si les premières estimations ne vont pas tarder à s’échanger sous le manteau. Au Champ-de-Mars, les journalistes s’affairent. Sur la tribune qui surplombe le parc, tournée vers la tour Eiffel, un panorama intimidant de caméras de télévision est braqué sur la scène en contrebas, où Macron tiendra un discours. Dans la zone qui accueillera les militant·es de La République en marche, autour de la scène, les reporters, accompagné·es de leur cameraman, jouent des coudes, circulent, alpaguent le service de presse du candidat, fument des clopes. Tiens, les premier·ères supporters LREM se pointent. Ils et elles ont un drapeau français et un autre européen, certain·es trimbalent une pancarte sur laquelle on peut lire : “EMMANUEL MACRON AVEC VOUS”.
Pour des raisons peu claires, mais qui semblent être bêtement logistiques, les journalistes ne peuvent pas approcher de trop près les militant·es, comme si ces derniers possédaient une sorte de ticket d’or, le genre que l’on retrouve dans les concerts de K-pop : “quand tous les supporters seront entrés, vous pourrez vous déplacer comme vous l’entendez”. On reste en retrait ; la zone se remplit. On croise la route de Fred, la quarantaine, militant de la première heure. Il se dit “plutôt confiant” quant aux résultats à venir, mais “un peu inquiet quand même”, compte tenu des derniers chiffres de l’abstention, qui plafonnent à 28 %. Il se dit par ailleurs satisfait de l’action du président jusqu’ici et estime “qu’il a fait le job”.
Pas loin de là, trois jeunes gens discutent. L’un d’eux, Christophe, 25 ans, dont les initiales forment CDG – “comme Charles de Gaulle”, nous rencarde-t-il, fier comme Artaban – a misé sur Mélenchon en 2017, avant de voter blanc au deuxième tour. Il est aujourd’hui militant La République en marche et ne doute pas de la réélection de son poulain : “J’ai trouvé Macron charismatique. Il avait une prestance que je n’ai pas trouvée chez les présidents précédents. Par ailleurs, je ne désapprouvais pas sa politique, sauf peut-être la réforme de l’Université. Et puis, il avait la classe à l’étranger. Ça fait du bien d’avoir un chef de l’état respecté en dehors de chez nous”.
“Les extrêmes jouent à ne plus paraître extrême”
19 H 30, la foule est chauffée à blanc. “Et un, et deux, et cinq ans de plus”, clament les supporters du Président, avec un certain mépris pour les chiffres 3 et 4. À 20 h, c’est l’explosion. 20 h 01, le sentiment de gène susmentionné. Quelques minutes plus tard, le bad est total quand notre ami DJ Vanetty lance le One More Time (vous l’avez ?) de Daft Punk. Ambiance BDE et Manzana (même s’il n’y a pas d’alcool sur le site, ce qu’un militant ne manquera pas de souligner avec un glorieux “bah, on fait comment la fête s’y’a pas de bière”), tandis que persistent à l’écran les chiffres mirobolants de la candidate d’extrême droite. Emmanuel Macron doit-il être tenu responsable de cette percée de près de 10 points de plus par rapport à 2017, lui qui avait fait de la réduction à portion congrue de la place des extrêmes dans le paysage politique français l’un de ses chevaux de bataille ? “On voit aujourd’hui qu’elle est encore très forte, nous confiait Fred avant de connaître les résultats, et sur la base des derniers sondages. L’abstention va peut-être le faire réfléchir, en tout cas il y aura effectivement des questions à se poser très sérieusement”. Mina, d’origine iranienne, naturalisée française il y a 40 ans, invite tout le monde à se poser la question : “Cette campagne a fait peur et a tiré la sonnette d’alarme. Pourquoi l’extrême droite a-t-elle fait une telle percée ? On n’a pas assez travaillé et on n’a pas assez éduqué”.
Obligé
La nuit tombe. On le voit sur les images de France 2, retransmises sur les écrans géants, Emmanuel et Brigitte Macron, sont en chemin, pourchassé·es comme c’est la tradition par les motards de la télévision. Pendant ce temps, la soirée BDE continue à battre son plein. Et puis plus rien. Le couple présidentiel arrive au loin, entouré d’enfants, comme dans un clip de Michael Jackson ou l’épilogue d’un film d’action hollywoodien. Croyez-le ou non, la version de l’Hymne à la joie de Beethoven crachée par les enceintes était si plombée, qu’on aurait dit La Marche funèbre.
“Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi, non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. Et je veux ici les remercier et leur dire que j’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir”, assènera le Président réélu avec gravité, après avoir évoqué le souhait de “faire de la France une grande nation écologique”. La bataille des législatives est lancée. Il n’est pas 22 h quand les militant·es commencent à quitter le Champ-de-Mars. La victoire d’Emmanuel Macron est passée aussi inaperçue que le dixième titre de champion de France du PSG.
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