En avril 2012, Hannah et ses amies débarquaient sur HBO pour changer la face des séries. Un héritage à la fois immense et fragile.
Comment ne pas prendre un brutal coup de vieux ? Comment ne pas rester ahuri·e devant l’idée que Girls, la série de Lena Dunham, est arrivée il y a déjà une décennie ? Qui s’en souvient comme si c’était hier ou l’a oubliée depuis sa fin en 2017 ? Notre rapport aux séries est souvent un zigzag entre l’oubli et la nostalgie. La sensation d’habiter le même monde qu’une poignée de personnages, qui finissent par devenir des fantômes, rythme nos vies de spectateur·trices. Ensuite, l’épreuve du temps détermine les monuments. Et Girls incarne un monument des années 2010. Dont il resterait quoi ?
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On peut trouver des défauts aux aventures new-yorkaises de Hannah, Marnie, Jessa, Shoshanna et quelques garçons comme Adam – joué par celui qui est devenu l’un des plus grands acteurs du monde : Adam Driver – et aussi Ray ou Elijah. Aujourd’hui, une série aussi blanche et bourgeoise serait encore plus questionnée que Girls ne l’a été en son temps. Mais si monument il y a, c’est parce que Girls a aussi inventé sa propre forme, où l’autofiction croise une réflexion sur l’amitié féminine, tout en bousculant spontanément les représentations. Quand Lena Dunham, 25 ans tout juste, a débarqué sur HBO avec pour tout bagage un long métrage intitulé Tiny Furniture et l’intuition qu’une parole féminine pourrait exister à la télé, les anti-héros masculins prospéraient, de Mad Men à Breaking Bad. Un imaginaire dominait, qu’elle a tout simplement ignoré.
Girls a démontré qu’une autre voie était possible, qui aujourd’hui semble normale, mais n’avait alors rien d’évident. De manière assez fine, Lena Dunham a d’ailleurs mis en perspective son travail par rapport à une lignée d’héroïnes novatrices, que ce soit Sex And The City, citée dès le pilote à la fois comme un doudou et un léger repoussoir, mais aussi la moins connue The Mary Tyler Moore Show, sitcom seventies mettant en scène une femme capable de transgresser les codes domestiques. Dunham y a souvent fait référence dans ses interventions publiques.
L’intime et le politique
Girls n’a pas été la première série féministe (coucou Buffy contre les vampires) mais elle a fait entrer le genre de plain-pied dans les problématiques contemporaines – le rapport au corps, la sexualité, les violences subies, la sororité – et imaginé certains moments parmi les plus marquants de l’histoire du petit écran. On pense à l’épisode American Bitch dans la sixième et dernière saison en 2017, un classique instantané où Hannah (jouée par Lena Dunham elle-même) se retrouve face à un “grand écrivain” qui l’agresse sexuellement presque sans en avoir l’air. Rarement l’abus de pouvoir des hommes puissants et la culpabilité des victimes n’ont été filmés avec autant de force et avec un style aussi personnel.
Pour cela, Girls a contribué à faire passer l’idée que la forme sérielle devait prendre en charge les questions intimes et politiques. Sans Girls, Fanny Herrero aurait-elle mis en scène un avortement dans l’excellente Drôle ? Rien n’est moins sûr, même si la série de Lena Dunham est restée timide sur le sujet. Sa force est d’avoir moins suscité d’imitations et de suites que libéré une façon d’écrire et de voir, donnant le courage à certaines scénaristes et créatrices de la dépasser. La vague de séries féminines du milieu des années 2010, de Fleabag à Transparent en passant par Broad City ou en France Loulou, lui doit objectivement beaucoup. En 2022, pas une seule jeune scénariste dans le monde n’ignore qu’une vingtenaire surdouée nommée Lena Dunham – revoir Girls, c’est aussi noter par exemple le niveau exceptionnel de ses dialogues – a pu mener à son terme une série qui lui ressemble, pleine de beautés et d’imperfections.
Aujourd’hui, la créatrice de Girls peine à retrouver la constance qui ferait d’elle la réalisatrice et scénariste incontournable qu’elle a été. Sa série Camping a été un échec. Elle a tourné l’an dernier un film, Catherine, Called Birdy (avec elle-même, ainsi que Billie Piper et Andrew Scott, le prêtre de Fleabag) dont on attend des nouvelles. Elle a désormais 35 ans et vient de se marier. On aimerait ne pas croire que la part la plus intéressante de sa carrière se trouve derrière-elle.
Girls est disponible sur OCS
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