Après une banque désaffectée de Londres, c’est dans d’anciens bâtiments de la propagande communiste à Berlin que Breton a enregistré son second album, qui sonne comme un nouveau départ. Rencontre, critique et écoute.
Le Lab a disparu. Cette ancienne banque du sud-est londonien, désertée puis récupérée par des artistes du coin, a finalement été détruite. D’un point de vue fonctionnel, le lieu aura accueilli les premiers bricolages de Breton, conférant au groupe une indépendance sociale et une liberté de création jamais remises en cause par des questions matérielles. Mais par la force des choses, le Lab s’est également inscrit dans la construction même de l’identité de Breton, devenant le symbole du chaos fertile si cher à la tête pensante du collectif Roman Rappak :
“Je crois qu’un groupe doit fonctionner comme une histoire. Perdre le Lab était la fin d’un chapitre. Ça nous a obligé à ne pas être le même groupe pour le second album. On a essayé d’aller dans un studio normal pour enregistrer comme un groupe normal – tu écris une chanson, tu vas au studio le matin, tu enregistres, tu ranges ton matos et tu t’en vas –, mais on s’est vite rendu compte que ça ne fonctionnait pas.”
De Londres à Berlin
Pour enregistrer War Room Stories, Roman et sa troupe sont donc partis à Berlin pour s’enfermer au Funkhaus Studio, grand bâtiment à l’allure froide, jadis haut lieu de la propagande communiste. Les conditions de création n’ont donc pas changé complètement. Ce qui a vraiment évolué, c’est peut-être l’approche que Breton a désormais de sa musique. Contrairement à ceux du premier album, Other People’s Problems, les nouveaux morceaux ne sont pas des créations figées en studio, auxquelles la scène viendrait ensuite donner un peu d’existence. War Room Stories est un album plus vivant, qu’on sent plus collectif, moins contrôlé par Roman. Et s’il perd ainsi en cohérence, on découvre la façon nouvelle qu’a eue Breton de multiplier les idées, de les faire cohabiter dans une vision globale de la pop, avec à la fois ses évidences et sa complexité. “La pop, pour moi, explique Roman, ça signifie qu’il y a une porte d’entrée pour accéder à une idée. Un peu comme un cube de béton avec une porte minuscule qui dévoile une sorte de chapelle Sixtine une fois que tu es dedans.”
Cette porte d’entrée, on la reconnaît rapidement en écoutant War Room Stories : la première chanson, Envy, est un tube obsédant, aérien, qui sonne bien comme du Breton mais qui dévoile une lumière qu’on ne soupçonnait pas forcément chez eux. Et s’il fallait trouver le début d’une “chapelle Sixtine”, ce serait évidemment S4, deuxième morceau et sommet du disque : Breton y fait preuve d’une finesse d’écriture inouïe, et quoique tout se passe en longueur et en langueur, c’est la puissance des sons qu’on retient en fermant les yeux de plaisir. L’idée de Roman se vérifie : après ça, War Room Stories s’ouvre comme un coffre au trésor dans lequel il y aurait plein de choses étranges et belles, mystérieuses, étincelant de mille couleurs. Cet album en contient une dizaine.
La liberté dans le carcan
Fils d’un intellectuel expatrié à Londres, passé à l’école française puis en école d’art, Roman a la tête bien remplie. Il théorise la pop aussi bien qu’il la pratique, et ses réflexions ne sont pas celles d’un simple mélomane devenu musicien mais d’un artiste capable de prendre de la hauteur sur ce qu’il fait, et plus généralement sur l’acte de créer. “War Room Stories fait référence au bunker où Churchill était pendant la guerre. Il y dirigeait toutes les opérations alors qu’il n’était pas en contact avec le pays. Il était protégé, mais isolé aussi. C’est comparable au moment où tu essaies d’écrire : tu es prisonnier de toutes les expériences que tu as vécues, mais tu es aussi libre dans ta tête de faire ce que tu veux.”
Pour Breton, l’art est un enfermement et la musique ne s’envisage qu’entre des murs épais, dans des pièces sans fenêtres où les idées sont libres de tout réinventer. C’est sûrement dans cette abnégation, dans cette intransigeance que le groupe trouvera la force de continuer d’écrire son histoire – et celle de l’avenir de la pop. “Breton, c’est une gentille protestation contre le fait qu’on n’aurait jamais dû être musiciens. Etre un groupe, c’est embrasser son époque et aujourd’hui, ça signifie prendre tout ce que tu as à ta portée – un orchestre, Twitter, les appareils photo numériques, le field recording (enregistrements hors studios – ndlr) – et les mélanger pour créer quelque chose qui n’aurait pas pu exister il y a deux ans et qui n’existera peut-être plus dans quatre.” Rendez-vous est pris.
Concerts le 19 à Strasbourg, le 21 à Roubaix, le 22 à Saint-Malo, le 23 à Bruxelles