Quoi de plus opportun pour une fable politique que de sortir à la veille d’une élection présidentielle ?
Le timing de sortie du nouveau film de Benoît Delépine et Gustave Kervern paraissait sur le papier parfaitement adéquat : un titre, En même temps, qui encapsule toute l’ambiguïté programmatique de Macron ; un pitch qui propose de métaphoriser sur un mode paillard une situation politique (un maire de droite totalement défiltré et un maire écolo assez peu charismatique sont contraints de cohabiter de façon plus qu’intime, depuis que dans un bordel, une militante féministe a collé le pénis de l’un à la bordure des fesses de l’autre) ; un point de vue assez consensuel qui consiste à rire de tous sans vraiment choisir de camp – avec juste un petit supplément de bienveillance envers les pétroleuses féministes.
On a dit à sa sortie la drôlerie du film, son efficacité comique, et pourtant, malgré son volontarisme à commenter presqu’en direct l’état des forces politiques de la France au printemps 2022, En même temps paraît bien déconnecté pour un spectateur qui le verrait dans cet entre-deux-tours. Quelque chose paraît bien anachronique dans cette satire d’une droite hâbleuse et cynique et d’une gauche écolo, puritaine et molle. La possible prise de pouvoir d’un parti d’extrême droite au second tour du scrutin, qui désormais occupe tous les esprits, ne travaille en rien l’imaginaire de cette fable assez peu visionnaire où rien ne semble vraiment grave.
Sorti un mois et demi plus tôt, Viens je t’emmène d’Alain Guiraudie reste le film qui explore avec la plus grande acuité l’imaginaire politique de la France contemporaine, son climat de violence et de peur communément partagée, ses vieux remugles xénophobes, et l’éventualité aussi que ce qu’on tenait pour un régime de réalité stable se brise soudain. Qu’une brutale bascule se produise vers un vaste inconnu. Tout est possible dans le monde dangereux mais ouvert de Viens je t’emmène, les plus grands dangers, comme la possibilité d’y résister. Le pire est possible le week-end prochain. Comme la possibilité, par un geste aussi élémentaire que le vote, de le déjouer.