À tout juste 21 ans, l’interprète du titre “Inchallah” se hisse sur la scène artistique parisienne avec des récits mêlant intime et universel, unissant pop culture et références avant-garde. Rencontre.
Sur scène, elle passe des baskets aux talons hauts, arborant des ongles architecturaux et un regard ourlé de liner fluo. Robe dorée au Bataclan ou body blanc surmonté d’une longue jupe transparente au 35/37, Lalla Rami se balade de scène en scène, toujours différente mais reconnaissable, alors que le public entonne avec elle à tue-tête les paroles d’Inchallah.
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En utilisant la musique comme thérapie pop énergique, ses textes mêlent récit d’espoir, d’amour, histoire de sexe et critique sociétale, sans tomber dans le misérabilisme. Après le titre 4 h 20 sorti pendant le confinement, l’artiste à la plume prolifique signait en janvier les paroles du titre SMTH interprété avec Yanis. Le clip s’inscrit en dehors de tout lieu ou époque, articulant club et parking sous terrain, glamour des seventies et bling des années 2000, obligeant à sortir des narrations usuelles et closes. Un mot d’ordre, semblerait-il.
Pour Les Inrockuptibles, Lalla Rami évoque son rapport à l’écriture, aux vêtements et leur place dans la construction de l’identité, et revient sur l’appellation artiste queer donné par le média Brut X. Rencontre.
Comment a commencé l’écriture de chansons pour vous ?
J’ai commencé vers l’âge de dix ans en écrivant des histoires : des contes en français et des chansons en anglais. Puis à partir de 14 ans, j’ai commencé à composer des chansons, à faire des prods, puis à 16 ans, à faire des mixtapes sur Youtube. Je faisais tout de A à Z, la cover, les prods de chaque son, tout. Je n’ai jamais cessé d’écrire. Ma plume a évolué avec mon vécu, ma perspective et mon environnement, les cultures et les sociétés. J’écrivais d’abord en anglais parce que je savais que la majorité des personnes ne comprendrait pas vraiment ce que je racontais, surtout mes parents. Mais avec le temps, j’ai commencé à écrire comme je réfléchissais, de manière organique, en français, anglais et darija, un arabe dialectal marocain. Je réfléchis et je parle constamment ces trois langues, donc c’est évident pour moi qu’elles soient toutes les trois présentes dans mes textes.
Quel est votre rapport à la mode, et particulièrement à celle que vous portez sur scène ?
J’aime que les choses soient intentionnelles quand je les porte, et il y a une continuité entre ce que je vais porter dans la rue et sur scène. J’aime jouer avec les projections qu’on peut faire sur moi. J’aime me sentir fraîche, j’aime faire la hala (la fête, ndlr.). Il y a une certaine vulnérabilité ainsi qu’une certaine puissance qui coexistent dans le fait de performer.
La mode est un outil d’expression, tout autant armure que statement. Ça peut être méga doux ou méga fucked up. C’est plein de choses à la fois. C’est un peu comme moi. Mon identité est plurielle, je ne veux mettre personne dans une boîte. Les humains sont complexes et pourtant la société nous fait voir les gens comme des entités figées. On va jusqu’à dire à quelqu’un “you’re acting out of character”, comme si on analysait et on pouvait appréhender les gens à partir de données de ce que l’on a vécu avec une autre personne du même groupe social.
On vous a décrit comme une rappeuse queer sur Brut X, que pensez-vous de cette appellation ?
Cela me ramène à un aspect de mon identité, m’y fige. Je comprends bien qu’il n’y ait pas beaucoup de profils comme le mien dans le rap, mais serais-je fondamentalement différente si demain je changeais de genre musical ? Si demain je me lançais dans la gastronomie, est-ce que je serais une cheffe queer ? Certes, mon identité est “queer” mais elle ne l’est pas parce que je l’ai voulu, mais parce que je suis perçue comme différente. Ça fait donc partie de choses que l’on projette sur moi. Je ne me trouve pas bizarre, moi. En même temps, je suis super bizarre. Je suis super queer.
Vous participez à défaire ces cloisonnements dans vos chansons, n’est-ce pas ?
Oui, forcément ! C’est ma vision donc j’en parle, entre autres. Mes textes sont des capsules d’émotions, de ressentis, de vibes introspectives ou critiques, parfois satiriques. Je parle de ce dont j’ai envie, quand j’en ai envie. Parfois, je ressens l’urgence d’écrire certaines choses, donc je les note. La vie n’a pas de sens et en même temps, tout est lié. La musique est ma thérapie, mon arme, ma boussole. Si c’était l’un de mes organes, ce serait mon cœur. C’est vital pour moi d’exprimer ce que je ressens au plus profond de mon âme. Dans mon titre Inchallah, c’est ce que je fais. Je ne voulais pas forcément structurer ma pensée, j’avais juste besoin de dire ce que j’avais à dire.
Avez-vous un processus de self-love ?
Traiter mes proches comme j’aimerais être traitée et prendre soin de soi comme je prends soin de ceux qu’on aime. C’est ma règle d’or. J’ai appris à m’aimer et à me trouver belle toute seule, et c’est précisément quand j’ai commencé à me donner du love qu’on a commencé à me voir et à me dire que j’étais jolie. Les femmes trans reçoivent tant d’injonctions sur la féminité à laquelle elles devraient toutes aspirer et dans laquelle je ne me reconnais pas toujours. La société projette une vision des femmes dans laquelle je ne me retrouve pas toujours.
Je suis fière d’être une femme sous mes conditions. Je ne dois rien à personne. Je n’ai pas transcendé le genre pour qu’on m’enferme dans une nouvelle boîte. Je suis juste bien dans mes talons, mes babouches, mes baskets, mes sandales. Et cela passe également par défaire l’imaginaire de l’immigrée qu’on me renvoie sans cesse. Je ne me conforme pas, je n’ai pas l’accent attendu, je suis inquiétante, déroutante par rapport aux clichés moqueurs, misérabilistes. Finalement je suis ce que vous voulez que je sois, puisque c’est vous qui me regardez.
Quel rapport entretenez-vous avec les réseaux sociaux ?
Je reçois beaucoup de force sur les réseaux, de beaucoup de personnes différentes, de pays, de milieux, de backgrounds hyper variés, c’est beau et enrichissant. C’est tout nouveau pour moi et ça me rend super heureuse. Le fait que des personnes streament ma musique, que mes paroles leur parlent, le fait qu’on se voie mutuellement, c’est juste magique et intimement rassurant. J’ai l’impression qu’ensemble, on peut vraiment tout soulever. Rien n’est inatteignable.
Cependant, j’essaie de garder une certaine distance afin de préserver ma vie privée et ma santé mentale, parce qu’être constamment sur les réseaux peut être très toxique. Je n’aime pas me forcer à poster. Je trouve que nous sommes dans une matrice bizarre. Je ne comprends vraiment pas tout parfois. J’ai l’impression d’être une vieille dame quand je traîne trop longtemps sur TikTok.
Propos recueillis par Alice Pfeiffer et Manon Renault.
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