“Murina”, premier film réalisé par Antoneta Alamat Kusijanović et coproduit par Martin Scorsese, a été sacré Caméra d’or à Cannes en 2021.
Julija vit sur une île de l’archipel des Kornati, au large de la Croatie. Le décor de ses journées, occupées par les exercices d’apnée et la plongée sous-marine, ressemble à un paradis pour vacanciers. Mais la vie de Julija n’a rien d’édénique : elle étouffe sous le joug d’un père brutal (parfois caricatural dans sa rudesse) et dans l’ombre, tout aussi toxique à sa manière, d’une mère ancienne reine de beauté, et prosélyte de la soumission.
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Avec ses atours très simples, presque lisses au départ, comme la mer qu’elle filme, le premier long métrage de la réalisatrice croate Antoneta Alamat Kusijanović ne fait pas de vagues. Mais son univers s’insinue après cette première vision et s’incruste dans notre imaginaire, à coups de motifs iconiques qui sont la marque des grands films.
Un film de contrastes
Et d’abord avec ce maillot de bain bleu argenté, qui forme comme des écailles sur la peau, et dont Julija ne songe jamais à se séparer, inconsciente de l’effet de ses formes sur les amis de ses parents. L’ambiguïté des regards, du nôtre, posés sur elle, tient à cette frontière indécidable entre l’enfance (dans sa tête) et l’âge adulte (son corps), entre ses seins de fille et une attitude virile normalement réservée aux garçons.
Autour d’elle, il y a aussi l’élément eau qui, comme dans L’Odyssée, emprisonne autant qu’il offre des promesses d’évasion. C’est de cet océan que va d’ailleurs surgir le “prince”, un ancien enfant du pays installé aux États-Unis où il a fait fortune dans l’immobilier : celui qui aurait vocation à les sauver, elle et sa mère, mais qui restera le prudent catalyseur de sa mue – sans trop se mouiller.
L’histoire d’une renaissance
Sur fond de projet fumeux d’hôtel touristique, de vains rêves de grandeur paternelle, Julija va trouver la voie de sa rébellion sur terre, de son désir (flou, entre celui d’un amoureux et d’un autre père, de substitution), à travers donc un Œdipe en crise. Mais c’est sous les mers qu’elle trouvera sa seule porte d’évasion. En cessant littéralement de respirer.
Dans une scène où elle échappe à son géniteur qui a voulu la séquestrer, l’héroïne fuit par une grotte sous-marine qui la propulse dans les fonds marins. En apnée, Julija accomplit, en un sens, la métamorphose inverse à celle de la petite sirène, transformant ses longues jambes en nageoire puissante, ses poumons humains en branchies. Dans cette mer confondue en grand liquide amniotique, se dessine alors la condition, libre et autonome, d’une (re)naissance possible.
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