Jusqu’à sa mort en 2017, elle fut, au New Yorker, une enquêtrice radicale à l’humour incendiaire. Publié par les Éditions du sous-sol, le recueil de ses plus fameux articles est une leçon de journalisme.
Bien avant que ne prospère aux États-Unis ce qui fut labellisé New Journalism par le tutélaire Tom Wolfe, des aventuriers en avaient déjà préparé le terrain dans l’immédiat après-guerre. Parmi eux, pourtant, une femme, Lillian Ross, ce qui était plus qu’atypique dans la presse américaine d’alors.
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Née Lillian Rosovsky en 1918 à Syracuse (État de New York) et décédée en 2017, Lillian Ross, après un apprentissage dans les colonnes du journal de gauche PM, est embauchée en 1945 au New Yorker, dirigé par son fondateur Harold Ross. Pas vraiment au nom d’un féminisme militant mais, plus prosaïquement, parce que beaucoup de journalistes hommes étaient encore mobilisés ou morts sur les champs de bataille.
Elle se distingue
L’anthologie réunissant une soixantaine d’articles choisis parmi les centaines écrits par Lillian Ross est pertinemment titrée Toujours sur la brèche. Lillian Ross le fut d’emblée, sur la brèche, et ne cessa jamais de l’être jusqu’à ses ultimes contributions au début des années 2000. Elle débute comme reporter pour la rubrique “The Talk of the Town”, enquêtant aussi bien sur un nouveau soutien-gorge que sur la bohème new-yorkaise. Dès 1948, évidemment moins bien payée qu’un homme, elle se distingue par un article titré “Au pied, Lassie !”, consacré aux agissements de la Commission des activités antiaméricaines présidée par le sinistre sénateur McCarthy, qui voyait des rouges partout et surtout à Hollywood.
Alors que l’heure n’était pas à la rigolade, Lillian Ross y dresse le portait de Lassie, la chienne vedette de la Fox
Documenté (notamment sur la frilosité des grands studios face aux attaques ignobles de la commission contre les stars, réalisateurs et scénaristes), le papier est surtout hilarant. Alors que l’heure n’était pas à la rigolade, Lillian Ross y dresse le portait de Lassie, la chienne vedette de la Fox. L’avantage avec Lassie, souligne Lillian Ross, c’est que si elle a des opinions politiques, elle a la délicatesse de ne pas les exprimer. L’article fit grand bruit et contribua à ridiculiser la paranoïa de McCarthy.
Un jardin plus secret
Dans cet article comme dans d’autres à la même période, Lillian Ross utilise le “nous”, sans doute pour ne pas révéler aux lecteurs masculins du New Yorker qu’elle est une femme, mais aussi, écrit-elle, pour souligner à quel point les journalistes du magazine formaient une fratrie où l’égotisme était banni. Autre morceau de choix qui va asseoir sa notoriété, un reportage daté 1950 sur la préparation épique de La Charge victorieuse, film de John Huston.
Pas de blabla, pas de “moi je” parasitaire et des articles construits comme s’ils étaient des petits films
D’abord publié en cinq épisodes, son récit devint un best-seller sous le titre Picture. D’autres gros poissons suivront : Chaplin, Hemingway, J. D. Salinger, Truffaut, Fellini. Mais Toujours sur la brèche révèle un autre jardin plus secret de Lillian Ross tout aussi enthousiasmant : ses portraits de parfait·es inconnu·es, “héros de l’ordinaire”, dont celui d’une maîtresse d’école de Central Park ou encore celui, franchement sidérant, d’un matador né à Brooklyn.
Credo de Lillian Ross à méditer par tous·tes les aspirant·es journalistes : pas de blabla, pas de “moi je” parasitaire et des articles construits comme s’ils étaient des petits films : acteurs, actrices, dialogues et, surtout, une histoire vraie qui vaille le coup qu’on la partage.
Toujours sur la brèche de Lillian Ross (Éditions du sous-sol), traduit de l’anglais (États-Unis) par Vincent Raynaud, 464 p., 26 €. En librairie le 6 mai.
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