A la veille de la sortie en salles de son dernier opus Enter the Void, Gaspard Noé a rencontré son public. L’occasion pour lui de parler de son cinéma et de ses influences, et pour nous de l’interroger, en vidéo, sur l’évolution d’une filmo iconoclaste.
Assez loin de la dégaine paramilitaire et des faux airs de guérillero zapatiste dont il jouait à l’époque de Seul contre tous et Irréversible, Gaspar Noé présentait mardi dernier son Enter The Void à la Fnac des Halles, plutôt serein et enclin au bavardage promotionnel.
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A la veille de la sortie du film, moult attentes, rumeurs, fantasmes et procès d’intention avaient déjà pullulé sur la toile. Rien d’étonnant pour un sulfureux au long cours de la trempe de Noé: depuis Carne, son moyen métrage présenté à Cannes en 1991, il a savamment entretenu le scandale, déclenchant le débat dans les cocktails huppés de la Croisette et bien au-delà.
Huit ans après les sensations fortes d’Irréversible, déjà riche en travellings et tournoiements vomitifs en tous genres, l’intéressé entend cette fois emmener le spectateur à bord d’un « roller coaster visuel ». Enter The Void accompagne l’âme errante d’un mort à travers un Tokyo si scintillant qu’il en devient vite psychédélique.
Durant les deux heures qui suivent, l’esprit du défunt (un junkie descendu par la police lors d’un deal malheureux) sert de guide à la caméra de Noé, plus aérienne que jamais. Une narration des plus épurées donc, que Noé justifie ici face à un public de fervents admirateurs probablement nourris à Pasolini et à Ken le survivant, et surtout conquis d’avance, bien qu’encore vierges (pour la plupart) de la fameuse expérience post-mortem annoncée.
Pour lui, comme à l’accoutumée, tout est simple et limpide : il s’agit d’un « film-trip », une aventure visuelle et sonore, inspirée non seulement de 2001 : L’Odyssée de l’espace, mais aussi de lectures vaguement scientifiques, éminemment ésotériques, parfois mystiques. Il s’est penché notamment sur le Livre des Morts Tibétains, a épluché quelques traités de neurologie et s’est souvenu des champignons goûtés ça et là.
En évoquant LSD, psychédélisme et montagnes russes, Noé assume pleinement son penchant pour l’hyper-subjectivité et les images turgescentes face auxquelles le spectateur se voit refuser toute possibilité d’identification à un personnage du récit. Déjà très appuyé dans Irréversible, le principe est ici poussé à son paroxysme : l’œil doit être le seul véritable héros du film.
Mais quid du contenu polémique dont il se plaisait à enrober ses précédents opus ? Exit l’isotopie socio-politique amenée par un film comme Seul contre tous: la haine et les tensions raciales, la violence dans les cités d’Ile-de-France, la Nation au bord de l’implosion, voire de la guerre civile (des thématiques que Noé justifie d’ailleurs évasivement par une fascination pour les classes populaires, ce qui incite à soupçonner de simples ornements accrocheurs, voués à optimiser la portée iconoclaste du contenu).
Convoquant à peu de choses près une vieille maxime fordienne (« Si je veux faire passer un message, je vais à la poste »), il le clame avec une fermeté sans doute honnête : il ne s’agit pas d’un film à sujet, pas question s’enquérir de quelque dénonciation implicite. Défoncé, on n’intellectualiserait donc pas.
Cette fois, la provocation est plus sensorielle que thématique. Plus que l’objet filmé, c’est la forme elle-même qui se veut insoutenable, tandis qu’Irréversible cherchait à opérer un équilibre parfait. Ici, le défi lancé serait plutôt une sorte d’épreuve de l’épileptique. Au point que la salle de cinéma prend des airs d’intruse, de sanctuaire inadapté à son culte, lequel appellerait presque une projection sur dancefloor.
Mais l’intéressé dément l’idée: il s’agirait avant tout d’une narration.
Pas question non plus d’avouer quelque intention de choquer pour choquer. Sale môme, Gaspar Noé ne s’est jamais caché du plaisir éprouvé lorsque ses films parviennent à recracher leurs spectateurs écoeurés hors de la salle. Mais il a toujours nié considérer le haut-le-coeur comme une fin en soi; et évoque ses effusions de sexe et de sang radicales (et parfois adolescentes) en les minimisant.
Là encore, malgré un coït en macro et un foetus avorté, il n’y aurait « rien de spécialement dérangeant, à part une forme peut-être un peu inhabituelle ». Amateur d’euphémismes, Noé?
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