Dans un genre désormais ultra-balisé, le jeu du chat et la souris entre un tueur en série et ses chasseurs, la création de Silka Luisa sort du cadre en faisant vaciller la psychologie de ses personnages et, peut-être, les règles du monde qui les entoure.
Lorsque le corps éventré d’une jeune femme est retrouvé dans une canalisation souterraine, Kirby Mazrachi (Elisabeth Moss), aspirante journaliste végétant à un poste d’archiviste pour un grand quotidien de Chicago, fait équipe avec le reporter Dan Velazquez (Wagner Moura) pour retrouver le tueur. Plusieurs années auparavant, elle avait survécu à une agression au mode opératoire similaire.
Rivée à la traque d’un serial killer insaisissable, Shining Girls s’engage sur un terrain connu, dont l’imaginaire ne cesse d’essaimer dans les productions contemporaines. Celui d’une méditation sur le mal, rythmée par des féminicides sordides, dont le sous-texte percutant souffre d’une certaine complaisance dans la représentation des violences faites aux femmes – parfois, la fascination pour la noirceur occulte ce que sa représentation entend dénoncer.
Une série à l’aura singulière
Cette mini-série brille pourtant d’une aura singulière. D’abord, parce que ce sous-genre balisé y est entièrement pris en charge par des femmes. Pour porter à l’écran cette adaptation d’un roman de Lauren Beukes, la showrunneuse Silka Luisa a fait appel à trois réalisatrices : les chevronnées Michelle MacLaren et Daina Reid, et Elisabeth Moss, qui s’était déjà essayée à la mise en scène dans la dernière saison de The Handmaid’s Tale.
Ensuite, parce que sa narration adopte le point de vue d’une survivante, dont elle déploie le traumatisme et la difficile reconstruction avec beaucoup d’acuité psychologique, faisant de sa désorientation et de ses angoisses la matière première d’une fiction paranoïaque et bousculant l’équilibre du jeu du chat et de la souris retors qu’elle noue avec son agresseur.
Une inquiétude diffuse, retranscrite visuellement par un environnement urbain menaçant
En embrassant ce personnage meurtri dans toute sa complexité, Elisabeth Moss l’inscrit dans la continuité des rôles qu’elle interprétait dans Top of the Lake et The Handmaid’s Tale, envisageant le retournement d’une violence féminine contre les agresseurs comme une nécessité subversive et politique. Creusant le même sillon d’un projet à l’autre, l’actrice construit ainsi une des trajectoires les plus fascinantes de la télévision contemporaine.
Le vacillement psychologique des personnages – Kirby a des trous de mémoire et navigue à vue dans sa propre existence, Dan noie son mal-être dans l’alcool et la défonce – imprime à la série une inquiétude diffuse, retranscrite visuellement par un environnement urbain menaçant et une surabondance de vitres et de reflets. Mais si l’on croit un temps que les personnages perdent pied, plusieurs indices cousus dans la toile narrative suggèrent un dérèglement plus vaste, comme si le monde lui-même ne tournait pas rond.
Comment Kirby rencontre-t-elle une astrophysicienne dont on a été témoin du meurtre lors de l’épisode précédent ? Pourquoi certains éléments de son quotidien changent-ils du jour au lendemain ? On conseillera à celles et ceux qui voudraient découvrir la série d’éviter sa bande-annonce et les titres de presse qui lui sont consacrés car ils en éventent le mystère : si les quatre épisodes auxquels nous avons eu accès nous laissent un peu sur notre faim, un twist déroutant est venu confirmer que Shining Girls n’avait pas encore abattu toutes ses cartes.
Shining Girls de Silka Luisa, avec Elisabeth Moss, Jamie Bell, Wagner Moura. Sur Apple TV+ à partir du 29 avril.