Vingt ans après leur série fondatrice, ses deux créateurs reviennent sur les lieux du crime. Une nouvelle incursion au sein de la police locale largement à la hauteur de l’attente qu’elle suscitait.
Depuis presque trente ans (son premier job de scénariste date de Homicide – Life on the Streets, la série qu’il a adaptée de son propre livre, entre 1993 et 1999), David Simon s’est donné pour mission de raconter les États-Unis du point de vue de leurs échecs. Ancien journaliste au Baltimore Sun, il a témoigné des violences structurelles et historiques du pays, de sa richesse sociale également, avec une touche romanesque sublime.
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Il l’a fait à la télévision et avec de très hautes ambitions, parvenant à modeler en partie l’âge d’or moderne des grands dramas HBO avec The Wire (2002-2008). On conseille à celles et ceux qui ne l’ont pas vue de s’y pencher aussi vite que possible avant de plonger dans We Own This City. Un fil se tire clairement entre les deux, celui du retour à Baltimore. Depuis 2008, Simon avait arpenté notamment New York (The Deuce) et La Nouvelle-Orléans (Treme), mais plus la grande ville de l’Est des États-Unis dont nous avions découvert l’intense géographie grâce à lui – si l’on excepte les films séminaux de John Waters.
La mise à égalité des flics et des voyous n’a plus cours
C’est l’un des beaux gestes des grand·es auteur·trices de séries : leurs œuvres finissent par former des mondes vivables, aux échos souvent infinis, qui se nourrissent à travers le temps. L’un des premiers intérêts de We Own This City est donc de retrouver un bitume, des couleurs, des sons que nous avions laissés dans un coin chéri de notre mémoire sériephile. La rumeur de la rue, les briques des habitations, tout est là.
David Simon et George Pelecanos, son complice de toujours, naviguent au bord de la nostalgie, mais pour mieux nous expliquer qu’elle ne sert à rien. Car le réel n’a pas fondamentalement changé depuis les années 2000. La constance du malheur et de la corruption est devenue un sujet en soi, le combat continue. Cette fois, la mise à égalité dans la fiction des flics et des voyous n’a plus cours : il faut aller droit au but avec les (seulement) six épisodes que HBO a offerts au duo. Les personnages multiples restent une marque de fabrique, mais presque tous se situent du côté des flics.
Une institution regardée avec des yeux d’entomologiste à travers ses couloirs glauques et ses réunions inutiles
L’intrigue débute en 2017, alors que la ville subit encore les remous d’une affaire de violences policières annonciatrice du mouvement Black Lives Matter : l’assassinat d’un jeune Noir, Freddie Gray, qui a eu lieu au printemps 2015 sous les coups d’une brigade en roue libre. Des émeutes ont suivi. À l’origine, on trouve un livre d’investigation consacré à cette Gun Trace Task Force de la police de Baltimore et signé par le journaliste Justin Fenton (La ville nous appartient, Sonatine Éditions). La fiction se tisse autour de la figure de Wayne Jenkins (Jon Bernthal, impressionnant), un flic violent dont nous suivons la carrière de ses débuts dans les années 2000 jusqu’à l’époque récente.
Autour de lui se trouvent des collègues complices ou réservés, brutaux ou ulcérés par ses méthodes et, plus largement, une institution regardée avec des yeux d’entomologiste à travers ses couloirs glauques et ses réunions inutiles, ses compromissions plus ou moins chuchotées, sa capacité de réaction : l’affaire a fini par être jugée et une refonte de la police locale enclenchée.
Le mal éradiqué à la racine ?
Simon et Pelecanos n’ont rien perdu de leur verve politique en montrant à quel point la violence d’État ne vient jamais de simples “brebis galeuses”, mais d’un système complexe qui a donné le droit aux flics de se croire propriétaires de la rue et de maltraiter les populations pauvres et noires, sujet contemporain s’il en est – Oussekine, la nouvelle production française de Disney+, le montre également à sa manière. La souffrance au travail des hommes et femmes en bleu n’est jamais minorée, car les deux créateurs prennent de la hauteur pour dénouer les fils d’une violence endémique, presque éternelle, dans un pays fondé sur la domination.
Dans The Wire, l’échec de la “guerre contre la drogue” voulue par Reagan et ses successeurs était patent ; dans We Own This City, la conscience du problème ne suffit plus : il faut agir, tenter d’éradiquer le mal à la racine. Ce n’est pas gagné mais fascinant à regarder. Moins qu’une série policière, voici une grande série sur la police.
We Own This City de David Simon et George Pelecanos, avec Jon Bernthal, Wunmi Mosaku, Jamie Hector. Sur OCS à partir du 25 avril.
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