Une expo permet de redécouvrir Magazine, fanzine gay et arty qui a insufflé une vision positive et décomplexée de l’homosexualité, en pleines années sida.
C’était une revue très marginale, mais j’ai été étonné de réaliser, avec le temps, que beaucoup d’artistes la connaissaient. Je crois que Magazine fut un tremplin pour de jeunes photographes et pour beaucoup d’illustrateurs gays qui étaient très peu connus. Les derniers numéros étaient bilingues, avec les interviews traduites en anglais. Mais tout ça reste très humble : on ne publiait que 5 000 exemplaires, dont 2 500 à l’étranger.” Ainsi parle Didier Lestrade, journaliste, activiste, grand défenseur de la house music, cofondateur d’Act Up-Paris et du mensuel gay et lesbien Têtu, personnage de roman chez Tristan Garcia, et accessoirement tête de mule de l’intelligentsia gay.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Et, ce que beaucoup ne savent pas encore, à l’origine, dans les années 80, avec une bande de copains fidèles, du désormais mythique Magazine. Un fanzine gay, plus proche de la revue que du zine proprement dit, qui n’aura duré qu’une poignée d’années, mais dont les rares exemplaires se dealent aujourd’hui à prix d’or sur eBay.
Magazine, né en plein dans les années 80, fric et frime, alors que l’hebdo Gai Pied monopolisait l’attention des homos, ne fut pas un magazine comme les autres, mais une zone de confluence où artistes émergents, journalistes nouvelle école et jeunes photographes étaient pressés d’en découdre avec l’homosexualité et ses représentations.
Fortement inspiré par le mensuel Interview de Warhol, ou des revues plus anonymes et gays, comme Folsom ou Straight to Hell, Magazine fut ainsi tout au long de ses sept années d’existence le point de collusion et le rendez-vous des intellos gays qui aujourd’hui revendiquent ses lettres de noblesse. Pierre et Gilles débutants, Yves Mourousi avouant à demi-mot ses frasques nocturnes, le dessinateur Tom of Finland à une époque où ses cakes n’étaient pas encore entrés au musée, Brion Gysin chopé dans la rue…
L’ensemble de ces collaborations, sorte de Who’s Who à filer le tournis à n’importe quel directeur artistique, semble résumer la ligne éditoriale telle qu’édictée par Lestrade : une esthétique frontale, dure, sans concession, des interviews-fleuves du même acabit, une place de choix laissée aux illustrations et la police Typewritter élevée au rang d’héroïne des années 80 !
Après des années d’immobilisme créatif, le mouvement gay s’est aujourd’hui réapproprié l’héritage du fanzine gay, esthétique porno 70’s dans la poche et Butt, le fanzine amsterdamois so chic en tête, il ne reste qu’à résumer ce que Magazine a apporté à la presse moderne, mais surtout à l’homosexualité. Une décontraction certaine face à “la problématique homosexuelle” et l’idée obsessionnelle du “solarisme” qui anime le parcours de Lestrade.
“C’est le seul truc qui me gêne avec certains fanzines aujourd’hui qui s’inspirent de Magazine, le côté “garçons à problèmes”. Il y a une raison sociale à ça. Ils parlent de problèmes et de trucs compliqués parce que ce sont des folles bourges, à la base. Je crois qu’ils pensent encore que le drama est en soi arty et que ça met les choses en valeur, un peu comme dans les années 70, où tous les films gays de Pasolini ou Fassbinder devaient finir par la mort. A l’époque, s’il n’y avait pas de déchéance, on criait au scandale. Magazine était contre ça. Notre vie était difficile, mais nous avons toujours pensé très fortement que le positivisme était une position très avant-gardiste. Ce n’était pas du déni, c’était un statement.”
Crédit photo : Patrick Sarfati, Magazine n°2
Magazine, un fanzine underground (1980-1987), jusqu’au 18 juin à la galerie 12Mail, 12, rue du Mail, Paris IIe, www.12mail.fr
{"type":"Banniere-Basse"}